Vivre en appartement malgré une déficience intellectuelle
TÉMOIGNAGE. Marika avait 19 ans quand elle a emménagé dans son premier appartement. Pour la plupart d’entre nous, c’est une étape assez banale. Mais pour Marika, c’était un véritable projet de vie. Vivant avec une déficience intellectuelle, elle a su prouver aux sceptiques qu’elle peut très bien prendre soin d’elle et s’occuper d’un appartement.
Après des échecs répétés dans plusieurs familles d’accueil, vivre en appartement est devenu une solution pour Marika. Elle avait souhaité avoir un jour son propre logement, mais les circonstances ont fait en sorte qu’elle a franchi cette étape plus tôt que prévu.
Elle s’est donc installée dans un appartement à Victoriaville. Les premiers mois, tout se passait bien. Elle allait à l’école et travaillait dans un restaurant du coin. Mais à l’âge de 21 ans, son parcours scolaire s’est terminé. Non par choix, mais plutôt parce que c’est le cas pour les étudiants qui, comme Marika, ont une déficience intellectuelle.
N’ayant plus l’école pour socialiser, elle s’est retrouvée de plus en plus seule et isolée. «Je n’aimais plus ça, raconte Marika. J’étais souvent toute seule dans mon appartement. Je travaillais, mais je ne faisais rien en dehors de ça.»
Puis, un jour, l’un de ses cousins l’a retrouvée via le réseau social Facebook. Marika a commencé à lui parler et a découvert qu’elle avait de la famille à Trois-Rivières. Elle a alors planifié son déménagement en sol trifluvien pour se rapprocher de ces personnes nouvellement retrouvées. La jeune femme de 23 ans y habite maintenant depuis plus d’un an.
Virage à 180 degrés
Dans son nouvel appartement, Marika se sent enfin heureuse. Elle a trouvé un emploi dans un magasin de vêtements et a adopté un chat qu’elle a nommé Mitaine. «Personne ne pensait que j’allais être capable de m’occuper d’un chat parce que je ne faisais jamais le ménage dans mon appartement à Victoriaville. J’étais capable de le faire, mais ça ne me tentait pas», mentionne Marika.
Avoir un chat lui a donné le goût de se prendre en main et de prouver à tout le monde qu’elle pouvait non seulement s’occuper d’elle-même, mais aussi d’un chat. Mitaine, c’est bien plus qu’un animal de compagnie pour Marika. C’est un ami, un confident et une motivation au quotidien.
«Mon petit chat m’aide beaucoup, confie-t-elle. Le gros changement que j’ai remarqué dans ma vie, c’est le ménage. Depuis que j’ai Mitaine, je fais beaucoup de ménage. C’est Mitaine qui a fait la différence dans ma vie.»
Avec les membres de sa famille qui habitent tout près, son travail et son chat, elle se sent maintenant bien entourée. Quand elle n’est pas au travail, Marika s’adonne à des loisirs et fait du sport. Cet hiver, elle faisait partie d’une équipe de basketball. Prochainement, elle souhaite sauter en parachute et faire l’ascension du mont Washington.
Se préparer à voler de ses propres ailes
Chaque année, une équipe du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ) aide des personnes ayant une déficience intellectuelle à intégrer un appartement. Plus de 35 personnes qui ont bénéficié des services du CIUSSS vivent maintenant en appartement de façon autonome.
«On est face à toutes sortes de situations, indique Yves René, chef des services spécifiques et spécialisés Adulte pour le CIUSSS MCQ. Il y a des demandes qui viennent d’un peu partout. Ça peut être un projet de vie de la personne. Parfois, ce sont différentes tentatives de placements qui ne fonctionnent pas et qui nous amènent à se tourner vers cette option. Autant de personnes, autant de cas différents.»
Marie-Ève Lambert a développé au fil du temps une expertise pour l’intégration en appartement de cette clientèle. Dans le cadre de son travail, elle doit d’abord évaluer la situation pour s’assurer que la personne a le potentiel pour habiter dans un logement.
D’emblée, la personne doit avoir une déficience moyenne ou légère et être capable de rester seule pendant quelques heures. «Il faut aussi que la personne ait le potentiel de réaliser les tâches associées à la vie en appartement, ajoute Mme Lambert, éducatrice Adulte pour le CIUSSS MCQ. Il ne faut pas nécessairement qu’elle soit capable de les faire, mais qu’elle ait le potentiel parce qu’on peut mettre à sa disposition des ressources pour l’aider.»
Une fois cette étape terminée, Mme Lambert s’assoit avec la personne concernée et fixe une date pour le déménagement. «À partir de là, je travaille avec la personne et sa famille ou famille d’accueil, si elle en a. Je ne fais aucune démarche toute seule dans mon bureau, précise-t-elle. L’idée, c’est de responsabiliser la personne sur ce qu’il faut faire. Je veux que la personne participe le plus possible à son projet de vie. C’est plus concret pour elle de cette façon.»
Avec le temps, Mme Lambert s’est développé un réseau de propriétaires de logements fiables et ouverts à la différence. Bien souvent, un simple appel à ces propriétaires suffit pour trouver un appartement. «Dès qu’on a trouvé, on parle de ce que la personne a besoin dans son appartement et à qui elle peut demander pour trouver toutes ces choses. On planifie le déménagement.»
Observation et ajustements
Une fois la personne dans son nouvel appartement, Mme Lambert prend le temps de l’observer et de voir comment elle se débrouille. «Je sais qu’il existe plein de technologies pour aider ces gens-là, mais je ne mets rien en place au début, j’attends de voir comment ils se débrouillent», indique-t-elle.
«Ce sont des personnes qui sont habituées de vivre avec leurs parents, qui ont toujours quelqu’un sur qui se fier, alors on ne sait jamais comment ils vont réagir, ajoute Mme Lambert. C’était peut-être le bordel dans leur chambre chez leurs parents, mais ça peut être l’inverse dans leur appartement. Je laisse aller la personne pour qu’elle se crée ses propres repères. S’il le faut, on s’ajuste. On peut intégrer des repères visuels ou mettre des alarmes, par exemple.»
Dans les premiers temps, Mme Lambert visite très souvent la personne dans son nouvel appartement. Graduellement, elle réduit le nombre de visites. «Ça ne prend jamais de temps, remarque-t-elle. Ils se font vite des repères. Ils ne se fient sur personne, donc ils prennent des initiatives et c’est valorisant pour eux.»
Rassurer les parents
Une partie de son travail consiste aussi à rassurer les parents de la personne qui veut vivre en appartement. «Ils ont peur que leur enfant n’arrive pas dans son budget. Ils s’inquiètent pour la sécurité, ils ont peur que leur enfant laisse entrer n’importe qui ou qu’il ne soit pas capable de dire non», énumère Mme Lambert.
Dans les faits, cette dernière constate qu’il est très rare qu’une personne dépense sans compter. «On fait beaucoup de sensibilisation et on prépare la personne, dit-elle. On fait un budget et ils sont prêts pour ça. Il ne faut pas non plus négliger les ressources communautaires disponibles vers lesquelles on peut se tourner en cas de besoin.»
Marie-Ève Lambert le répète souvent : l’intégration en appartement, ça ne se pratique pas, ça se vit. Ce n’est pas non plus une question d’âge. Il faut simplement que la personne soit apte et prête à faire le saut.
Un défi à l’horizon
Au CIUSSS MCQ, l’un des défis à venir sera l’intégration des personnes ayant un trouble du spectre de l’autisme. Les modèles d’intégration conçus pour les personnes ayant une déficience intellectuelle sont bien différents et ne s’appliquent pas à cette clientèle.