La route 66 à vélo

Traverser à vélo les 4000 km qui séparent Chicago en Illinois et Santa Monica en Californie semble un défi immense, mais c’est pourtant celui que s’est lancé le Trifluvien Jonathan Fraser cet automne. Depuis le 1er septembre dernier, le cycliste amateur sillonne la mythique route 66 à raison de 100 km en moyenne par jour.

En date du 24 septembre, Jonathan Fraser avait déjà traversé le Missouri, le Kansas, l’Oklahoma et le Texas, et avait atteint Tucumcari au Nouveau-Mexique. C’est cette même journée qu’il a franchi le midpoint de la route 66, c’est-à-dire qu’il était très exactement à mi-parcours et que 2000 km étaient déjà derrière lui. Après le Nouveau-Mexique, il lui restera l’Arizona à traverser avant d’atteindre son but aux alentours du 22 octobre.

« J’ai fait la moitié, mais pour moi c’est seulement 50 %. Comme sur un examen, ce n’est pas une bonne note. Je suis content, mais je ne suis pas encore satisfait. Les gens vont dire que je suis sévère envers moi, mais ce n’est pas la note de passage. Quand je vais être au bout, c’est là que ça va se passer! Ma coupe Stanley, elle est à Santa Monica », mentionne Jonathan Fraser.

La première semaine est la plus difficile « parce que t’as mal partout. Selon moi, une fois que tu as passé la première semaine, à moins de te faire frapper par un train, plus rien ne peut t’arrêter! »

Et pourquoi la route 66? « Tant qu’à en rouler une, j’ai choisi celle qu’on appelle la route mère, celle qui a un historique intéressant. Pour les Américains, c’est une route mythique », explique le Trifluvien.

Jonathan Fraser n’en est pas à sa première escapade d’envergure à vélo. En effet, à l’âge de 23 ans, l’homme avait franchi 3000 km en 26 jours dans l’Ouest canadien. Ce n’est que 22 ans plus tard qu’il se relance dans une telle aventure, cette fois en amassant des fonds pour la Fondation Interval, pour l’amélioration de l’autonomie et de la qualité de vie des personnes ayant une déficience physique en Mauricie et au Centre-du-Québec.

Quand le défi risque d’être compromis

Tant qu’à en rouler une, j’ai choisi celle qu’on appelle la route mère, celle qui a un historique intéressant. Pour les Américains, c’est une route mythique.

Un tel défi comporte bien entendu son lot d’imprévus et de difficultés. Avant même son départ, Jonathan Fraser a eu une première surprise. Alors qu’il avait roulé beaucoup à vélo au début de l’été, il s’est réveillé le matin du 6 juillet incapable de plier un de ses genoux. Entre ce moment et la date de son départ pour Chicago, il n’avait été en mesure que de rouler un total de 11 km. Le 1er septembre, alors qu’il entamait les premiers kilomètres de la route 66, il ne savait pas encore s’il en verrait les derniers.

La date de son départ n’a également pas été laissée au hasard, établie au mois de septembre en prévision de températures automnales. Dame Nature en a décidé autrement et a offert à Jonathan Fraser une vague de chaleur qui a duré les 18 premiers jours de son voyage. Il a roulé à des températures atteignant les 38 degrés Celsius. Dans de telles journées, il peut boire jusqu’à 10 litres de liquide pour se maintenir hydraté.

Le cycliste a également dû faire face à quelques bris d’équipement, dont deux crevaisons en deux jours et son indicateur de vitesse qui a rendu l’âme à la suite de deux journées de pluie diluviennes en Illinois.

C’est en effet beaucoup de préparation et d’anticipation. La totalité de son trajet a par exemple été divisée par État. « Si tu pars à vélo et que tu dis que tu as 4000 km à rouler, la bouchée est pas mal grosse! », explique-t-il. Parfait exemple de préparation, le cycliste aura à traverser le désert de Mojave, ce qui représente 170 km sans point d’eau. Il devra s’approvisionner adéquatement en eau (8 à 10 litres) avant de s’aventurer dans ce secteur.

Chaque soir, Jonathan Fraser planifie sa journée du lendemain. Il doit vérifier les vents, la température et s’il aura accès à un dépanneur ainsi  qu’à un hébergement près de la route. Par exemple, si un camping se trouve à 16 km de la route 66, ce sont 32 kilomètres de trop qui s’ajouteront inutilement à son trajet. Car en plus des 100 km roulés dans la journée, il traine avec lui beaucoup de bagages: tente, matelas, nourriture et eau, brûleur, bombonnes de butane, vêtements, corde, etc. Tout pour lui assurer une pleine autonomie.

Il est possible de contribuer au GoFundMe de Jonathan Fraser afin de l’aider à couvrir ses frais d’hébergement et de nourriture. Les fonds restants seront remis à la Fondation Interval. Il est également possible de faire un don directement à la fondation via son site web ou de suivre la traversée du cycliste en mots et en photos sur sa page Facebook. Les trois liens sont disponibles sur le site web de Jonathan Fraser, cycloaventure66.

« Les rencontres que tu fais, c’est la somme des expériences du monde»

Le Trifluvien Jonathan Fraser a décidé de relever en solitaire le défi de la route 66 à vélo. Bien qu’il prenne ses propres décisions, il n’est pas réellement seul dans son voyage. C’est en fait une succession de rencontres avec les locaux et les voyageurs qui viennent donner toute la couleur et la raison d’être à son expédition.

« C’est une expérience de vie vraiment solide par les gens que tu rencontres. C’est impossible qu’un voyage comme ça ne change pas quelqu’un, car les rencontres que tu fais, c’est la somme des expériences du monde », raconte Jonathan Fraser.

Le cycliste raconte qu’en général, l’accueil des gens est exceptionnel. Il reçoit même de nombreux encouragements, dont des motocyclistes qui le saluent ou des camionneurs qui tiraient les flûtes.

Si tout se déroule bien, Jonathan Fraser devrait terminer son périple aux alentours du 22 octobre.

Une rencontre bien marquante pour Jonathan est celle d’un homme parti le 15 mai de Pittsburgh et qui marche à travers les États-Unis pour la sobriété. Il traine un chariot avec son bagage, son Coke Diète et ses deux paquets de cigarettes. « Il a tout perdu et a décidé de partir à pied. Ce qui m’a épaté du gars, c’est qu’il est dans une grande quête spirituelle. Il était étrange, mais il était fin! », explique Jonathan.

C’est également dans la générosité qu’il a été accueilli la plupart du temps. Alors que le Trifluvien tentait en vain de se connecter au WiFi de son terrain de camping, c’est finalement un homme travaillant dans la boite de sa camionnette qui a résolu son problème. C’est évidemment l’accent québécois qui souleva la curiosité de l’Américain, comme à chaque fois que quelqu’un accoste le cycliste. « Il me demande si j’aime la bière. Il faisait 36 degrés Celsius à l’ombre, alors même si je n’avais pas aimé ça, j’aurais dit oui! » Ils ont bu, discuté, pour finalement se faire offrir le souper: un steak provenant de son propre bétail. « Ça fait une semaine que tu manges du riz et du thon, et tu te fais offrir du steak. Ma réponse a été: certainement! », raconte Jonathan en riant.

Malheureusement, bien que ses rencontres se soient majoritairement bien déroulées, il a été témoin d’un mouvement dans le Missouri appelé le coal rolling, qu’on pourrait traduire par « charbon roulant ». Le phénomène consiste par exemple à trafiquer sa camionnette afin qu’elle émette une fumée noire et toxique sur les passants, les cyclistes et les voitures électriques. Alors que Jonathan Fraser traversait le Missouri, il en a été victime plus d’une dizaine de fois.

« Ils ont tous des pick-up diesel et quand ils te dépassent en vélo, ils ralentissent à ta hauteur pour volontairement t’emboucaner d’une fumée noire épaisse, explique Jonathan. Quelqu’un me dirait qu’il veut faire la route 66 en vélo, je lui dirais de la faire jusqu’à Saint-Louis, d’y prendre l’autobus et de se faire débarquer en Oklahoma! », blague-t-il.

Peut-être que Jonathan Fraser ne deviendra pas une autre personne à la fin de son voyage, mais il est persuadé que sa vision du monde changera de bien des façons. « On vit dans un monde où on veut tout avoir tout de suite. Avec mon voyage, je perds la notion du temps et je me sens bien », conclut-il.