(OPINION) La lutte des infirmières contre le temps supplémentaire obligatoire

TRIBUNE LIBRE. Le Québec compte plus de 75,000 infirmiers (es). Membres d’un ordre professionnel investi d’un acte exclusif, les infirmières sont incontournables dans le système de santé. L’imposition du temps supplémentaire obligatoire tire sa légitimité d’une part des besoins d’une population vieillissante et d’autre part de contraintes légales ou administratives qui affectent les ressources en nursing.

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) a exercé une influence déterminante dans la mise en place de ratios infirmières-patients dans le cadre d’un objectif de protection de public.

En outre, s’est ajouté un accord patronal-syndical sur le rehaussement des postes à temps complet. Ainsi, la convention collective des infirmières (2016-2020) a établi une cible nationale d’augmentation des postes à plein temps au niveau de 62% de la force active concernée. Cette cible n’est pas atteinte dans l’ensemble des institutions mais les parties y travaillent dans le cadre d’un comité paritaire national. Ensuite, la recherche d’une meilleure adéquation travail-famille a créé une pression en faveur de la régularisation des horaires de travail.

Ainsi, le recours aux salariés à temps partiel, afin de pourvoir à une pénurie d’infirmières en urgence, s’avère difficile du simple fait que celles-ci doivent être informées, au moins cinq jours à l’avance, selon la Loi sur les normes (art. 59), du moment où elles seraient requises de travailler.

Les ratios infirmières-patients et la valorisation des postes à temps complet ont réduit inévitablement le bassin d’infirmières à temps partiel ou occasionnel dans lequel les directions d’établissement puisaient, pour remplacer des infirmières absentes ou en ajouter lors de surcroits de travail. Les employeurs priorisent alors le temps supplémentaire obligatoire car ils doivent composer avec une flexibilité opérationnelle moins accessible qu’auparavant.

La Loi sur les normes, à son article 59, autorise toutefois un salarié à « refuser de travailler plus de deux (2) heures au-delà de ses heures habituelles quotidiennes de travail » en ajoutant toutefois que cela ne s’applique pas « lorsqu’il y a danger pour la vie, la santé ou la sécurité des travailleurs ou de la population ». Or une unité de soins est justement remplie de patients dont plusieurs sont souvent en danger de mort, ce qui n’accrédite pas l’intention des infirmières de refuser le temps supplémentaire. Et comme si tout cela n’était pas assez, s’ajoute l’article 1 de leur Code de déontologie libellé ainsi : « L’infirmière ou l’infirmier doit porter secours à celui dont la vie est en péril … en lui apportant l’aide nécessaire et immédiate … ».

Quant à la décision du Tribunal administratif du travail du 5 avril 2019 rendue par la juge administrative Hélène Bédard, (CQ-2019-1832 FIQ c CPNSSS), elle conclut que le refus de temps supplémentaire risque de porter préjudice « à un service auquel le public a droit ».

Par ailleurs, la juge Bédard comprend que « les établissements de santé prendront les moyens pour éviter de faire appel au temps supplémentaire obligatoire » en ajoutant d’emblée qu’il est exigible dans une situation d’urgence ou exceptionnelle. Mais c’est justement en invoquant l’urgence de la situation que s’appuient les directions d’établissements de santé pour rendre obligatoire le temps supplémentaire depuis longtemps. Pour le réduire, celles-ci ont essentiellement trois (3) options difficiles : diminuer les ratios infirmières-patients, ce qui implique, afin de protéger la qualité des soins, de revaloriser d’autres catégories d’emplois comme celle de l’infirmière auxiliaire; reconstituer un bassin d’infirmières occasionnelles, ce qui oblige d’abaisser la cible des postes à plein temps en retournant à la table de négociation ; ou finalement augmenter la force active nursing à temps partiel régulier ou à plein temps, ce qui est un facteur de coûts additionnels. Légalement, le combat des infirmières n’est pas gagné d’avance mais la pression sociale, issue de leur lutte syndicale, peut faire la différence.

 

Jean-Claude Bernatchez

Professeur titulaire en relations de travail à l’Université du Québec à Trois-Rivières et directeur de l’Observatoire des relations de travail.