Les familles vivent dans les cimetières

Je ne suis resté que cinq minutes à regarder. Au deuxième étage d’une maisonnette hissée sur des piliers, deux silhouettes allaient et venaient dans la fenêtre éclairée. Autour, il n’y avait que des monuments funéraires.

C’était au crépuscule. Au loin se profilait une autre baraque aux fenêtres éclairées. C’était donc vrai! Des gens vivaient dans les cimetières du Caire, capitale de l’Égypte.

J’y suis allé il y a une quinzaine d’années et de mémoire, j’étais dans un cimetière chrétien. Je ne me trouvais pas dans la fameuse Cité des morts, vaste cimetière en bordure du centre-ville où 500 000 personnes vivent dans des abris de fortune entre les tombes, les monuments funéraires et les mausolées.

De la vie au-dessus de la mort

Si j’étais allé à la Cité des morts, j’aurais vu des jeunes jouer au billard entre deux sépultures. J’aurais vu des oignons sécher au soleil sur une tombe. J’aurais vu des vêtements sécher dans l’air chaud, suspendus à une corde à linge flottant au-dessus des pierres tombales. J’aurais vu des enfants jouer à la « tag » en courant entre les abris funéraires, construits au-dessus des morts.

Avec un peu de chance, j’aurais peut-être réussi à mettre un pied dans une baraque (certains morts gisent sous le seuil des portes dit-on) et j’aurais vu quelqu’un dormir, au fond de la pièce, la tête du lit contre une tombe. Parfois, la cuisine se trouve au-dessus d’une chambre funéraire, le bain dans un tombeau voisin.

La nuit, j’aurais circulé entre des centaines de baraques dépourvues d’électricité, donc dans la noirceur presque absolue. Sauf à certains endroits où les locataires, moyennant un arrangement avec un habitant bien nanti d’un quartier voisin du cimetière, réussissent à obtenir de l’électricité.

Le jour, j’aurais croisé le poste de police, le bureau de poste et des petites épiceries. J’aurais croisé le « tourabi » qui s’occupe des morts (il nettoie les lieux) et le « mu’allem » qui s’occupe des vivants (il collecte les loyers de 1,5 et 3 euros par mois et joue le rôle d’agent immobilier).

La Cité des morts est divisée par quartier et chaque quartier possède son tourabi et son mu’allem. C’est drôlement bien organisé! À l’époque, on disait qu’un million de gens habitaient dans les cimetières au Caire, 500 000 à la Cité des morts, 500 000 éparpillés dans d’autres cimetières. Aujourd’hui, on avance le chiffre de deux millions. Mais Le Caire est une ville si anarchisante qu’il est impossible d’obtenir une statistique précise.

Pauvres, pauvres, pauvres!

Pourquoi ces gens s’installent-ils dans des cimetières? Vous l’aurez deviné. Ils sont trop pauvres pour se permettre un logement. Et comme l’Égypte ne roule pas sur l’or comme au temps des pharaons, ces milliers de gens venus du fond de la campagne ou de l’extérieur du pays s’entassent dans des abris déjà construits la plupart du temps.

Depuis des siècles les Égyptiens bâtissent des abris au-dessus des tombes pour accueillir famille et amis du mort, une vieille coutume égyptienne. Les propriétaires permettent aux nouvelles familles d’habiter leurs abris moyennent un loyer.

D’autres familles vivent dans des caveaux.

Si vous allez au Caire un jour et que vous marchez à l’aventure dans les rues de la ville, il se peut que vous traversiez un cimetière habité sans vous en rendre compte. Ces cimetières sont tellement bien structurés qu’ils se confondent avec les quartiers de la ville.

Le Caire est une ville complètement folle! J’y suis allé deux fois. À l’époque, le chiffre officiel était de 18 millions d’habitants. Un chiffre qui faisait rire certains Cairotes qui parlaient plutôt de 20 à 23 millions d’habitants. Selon certaines sources, entre 500 et 1000 personnes s’installent au Caire chaque jour. La capitale de l’Égypte vit une vraie crise de logement.