La belle histoire de Fanny et de Robert

Tous les deux reposent en paix au sommet d’une montagne qui surplombe le Pacifique.

Comme dans la plupart des couples, ils se sont sûrement engueulés. Insultés peut-être. Boudés certainement. Reste que c’est une histoire d’amour qui, je ne sais pas pourquoi, me plaît beaucoup.

Le goût de l’aventure

Fanny Van de Grift est née à Indianapolis. Elle se retrouve mariée à 17 ans. Patiente, elle accorde plusieurs chances à son mari infidèle de qui elle a trois enfants. Lasse, elle finit par fuir en Europe avec ses enfants. Elle s’installe à Paris pour étudier la peinture avec sa fille. Une fois là-bas, un malheur l’attend : le plus jeune de ses enfants meurt.

Elle vit la bohème artistique dans la forêt de Fontainebleau, véritable repaire d’artistes en devenir.

Un beau jour qu’elle bavardait à l’intérieur, elle voit entrer un homme plutôt maigre. Par contre, il a le look d’un aristocrate. Le gars revient d’un long voyage en canot de la Belgique à la France. Il s’appelle Robert Louis Stevenson.

Fanny apprend qu’il est né à Édimbourg en Écosse et qu’il veut devenir écrivain. Il pense tout l’temps à des histoires et cela plaît à Fanny. Excentrique un brin, Stevenson est un rebelle dans l’âme. Il a tâté de l’opium et fréquenté les bordels de sa ville natale.

Pour le moment, Fanny flirte avec le cousin de Robert Louis. Il s’appelle Bob. Un beau jour, Bob glisse dans l’oreille de Fanny : « Vous savez, mon cousin Robert a beaucoup de talent. Il sera célèbre un jour. »

Fanny se lie d’amitié avec Stevenson. Le contraste est frappant. Fanny est plutôt « tomboy » alors que Stevenson est frêle et chétif. C’est que le gars est souvent malade : fièvre, toux à répétition, faiblesse physique. Cela remonte à son enfance. L’humidité excessive de l’Angleterre le tue.

Un point commun les unit par contre : le goût de l’aventure et des sensations fortes. Ils deviennent amoureux.

Fou d’amour

Un beau jour, Fanny retourne brusquement aux Etats-Unis. Pauvre, Stevenson ne peut la suivre. Pendant l’absence de Fanny, il entreprend un voyage à pied de près de 200 kilomètres dans les montagnes. Il en sort un livre : Voyage avec un âne dans les Cevennes. Le livre deviendra un classique.

N’en pouvant plus d’être séparé de Fanny, il réussit à gagner un peu d’argent, traverse l’Atlantique en bateau, puis les Etats-Unis en train de New York à San Francisco. Son voyage sera l’objet d’un livre.

Épuisé, il tombe gravement malade à son arrivée en Californie. À nouveau, il frôle la mort. Fanny le soigne…et le marie. C’était à San Francisco en 1880.

Voyage de noces

Sans un sou tous les deux, Stevenson et Fanny passent leur voyage de noces dans une mine désaffectée de la Californie. Ils vivent d’amour, d’eau fraîche et de simplicité volontaire. Ils ne le savent pas, mais c’est le début d’une série d’aventures qui fera de leur vie de couple une vraie histoire à roman.

Dans la même année, le couple s’installe en Angleterre. Le père de Robert Louis, qui n’approuve pas la vie de son fils, a accepté de payer le billet de retour sur l’insistance de Fanny. Une fois là-bas, Stevenson se réconcilie avec son père. Fanny y est pour beaucoup.

Pendant sept ans, le couple déménage sans cesse en Angleterre et en Écosse. Décidément, Stevenson n’arrive pas à s’adapter au climat de son pays natal. Par contre, il devient un écrivain célèbre de par le monde en publiant deux gros classiques: L’île au trésor (avec le fameux pirate Long John Silver) et Dr Jekyll et Mr Hyde.

Le couple décide de retourner aux Etats-Unis pour le bien-être physique de Stevenson. Ils s’installent dans les Adirondacks, sur un plateau montagneux, tout près du Québec. L’année suivante, ils affrètent un bateau et part à l’aventure dans les îles du Pacifique. Stevenson écrit des reportages pour différents journaux.

Cap vers le sud

Fanny et Stevenson erre d’île en île pendant trois ans: Tahiti, Hawaïi, Australie, Nouvelle-Zélande. Ils décident de se fixer aux îles Samoa en 1890. Non seulement Stevenson continue à écrire, mais il devient chef de tribu.

Le 3 décembre, Robert Louis Stevenson meurt d’une hémorragie cérébrale alors qu’il s’apprêtait à ouvrir une bouteille de vin. Fanny exauce son souhait. Cet amoureux de la mer sera enterré au sommet d’une montagne, à la vue de la grande nappe bleue. On raconte que quelque 400 membres d’une tribu ont porté son cercueil jusqu’au sommet en se relayant.

Inconsolable, Fanny décide de tourner la page. Elle retourne vivre en Californie pour refaire sa vie. Friande d’aventures, elle choisit un deuxième écrivain. Il dira d’elle : « C’est la seule femme au monde pour qui il vaut la peine de mourir. »

Fanny est morte le 18 février 1914. L’année suivante, sa fille apporte ses cendres à Samoa et les enterre près de Stevenson. Sur la plaque de bronze sont gravés les mots : « Nuage fuyant ». C’est comme ça que les membres de la tribu appelaient Fanny à l’époque.