La ballade de Pierre et de Margaret Trudeau

Tahiti à la fin des années 60. Margaret Sinclair croise un homme qu’elle ne reconnaît pas. Il s’agit de Pierre Elliott Trudeau, ministre de la Justice au Canada. Pierre par contre n’est pas près d’oublier les beaux yeux bleus de la fille de Vancouver.

Devenu chef du Parti libéral, Pierre fait tourner les têtes de milliers de femmes à travers le pays. Sourire espiègle, cheveux longs, yeux perçants, propos parfois impertinents, répliques étincelantes, l’homme dégage un charme fou.

Rebelle à sa façon, il est l’homme qui a décriminalisé l’homosexualité et l’avortement et assoupli les lois sur le divorce.

Les femmes et même les hommes accourent pour le voir, lui toucher, lui parler durant la campagne électorale de 1968. Du jamais vu au Canada! La campagne fera date dans l’histoire du pays. On l’appelle la Trudeaumanie. Lorsque Pierre gagne les élections, c’est la consécration.

Le sachant célibataire, nombreuses sont les femmes qui rêvent de mettre la patte sur Pierre Trudeau. Elles ne savent pas que l’homme fréquente une fille de Vancouver dans la plus grande discrétion.

Coup de théâtre

Au matin du 4 mars 1971, le réveil est brutal pour les admiratrices de Trudeau qui se comptent par milliers. Elles apprennent que le prince charmant vient d’épouser Margaret Sinclair, fille d’un ancien ministre libéral et diplômée en littérature anglaise.

Le choix de Pierre fait grincer des dents. Les moralistes s’indignent. Avez-vous vu l’âge? Pierre a 51 ans et Margaret 22 ans. Inacceptable!

Les nationalistes, eux, piaffent de colère. Pourquoi épouser une anglophone? Les femmes du Québec ne sont pas assez belles pour Trudeau?

Des féministes crieront au scandale lorsque, six ans plus tard seulement, un beau matin de mai 1977, le bureau du premier ministre diffuse un communiqué pour annoncer que, dorénavant, le couple va vivre séparément. On s’en doutait, disaient-elles, tout ce que Trudeau voulait de Margaret, c’était des bébés. Il a eu trois garçons. Maintenant qu’il n’a plus besoin d’elle, il la met à la porte.

Brando et Lennon

Que s’est-il passé pour que le couple ne dure que six ans?

La différence d’âge était trop grande, estiment plusieurs.

Margaret savait que l’homme qu’elle avait choisi serait fort occupé, mais pas à ce point. La fille avait envie de bouger, de s’amuser et surtout de développer ses propres talents.

Pierre, lui, ne se limitait pas à gouverner. Le plus à gauche de tous les premiers ministres de l’histoire du pays (des gens d’affaires le traitaient de socialiste) consacrait ses semaines entières à tenter de transformer le Canada, d’en faire un pays de l’avenir, respecté sur la scène internationale.

Il faut dire également qu’en jetant son dévolu sur Pierre Trudeau, Margaret remettait sa vie entre les mains d’un homme exceptionnel et d’une intelligence supérieure. Elle-même dira que, de tous les hommes qu’elle avait connus, Trudeau était le plus brillant.

Pour Mitchell Sharp, diplomate de carrière et ministre des Affaires étrangères du Canada à l’époque, Trudeau était l’homme le plus intelligent qu’il lui avait été donné de rencontrer.

Pour John Kenneth Galbraith, diplomate américain et économiste d’envergure internationale, Trudeau était l’homme plus cultivé parmi toutes les personnalités croisées au cours de sa carrière.

Marlon Brando (le film Le Parrain), venu rencontrer Trudeau pour lui demander un soutien financier à la réalisation d’un documentaire, trouvera chaussure à son pied. Il a déclaré à la sortie de la rencontre: «Jamais de ma vie je n’ai rencontré un homme aussi intimidant!»

John Lennon se montre impressionné après une rencontre de 45 minutes avec Trudeau portant sur la paix dans le monde. «Si tous les politiciens étaient comme lui, la paix régnerait dans le monde», a-t-il dit aux journalistes.

La pression était donc forte sur les épaules de Margaret Sinclair. De plus, elle en avait marre des cérémonies protocolaires et elle s’ennuyait à Ottawa. Faut dire également que son mari était loin d’être un ange. Homme très exigeant, il se montrait parfois arrogant et détestable. Du moins en public.

Les Rolling Stones

Un jour, Margaret se décida à prendre sa vie en main. Tournée des discothèques à New York, vie de jet set, fréquentation des vedettes du rock. Son geste le plus spectaculaire? Une aventure qu’on lui prête avec un musicien des Rolling Stones.

C’était en 1977 à Toronto. Le guitariste Keith Richards venait de se faire arrêter pour une affaire de drogue. La perquisition avait mobilisé une quinzaine de membres de la GRC.

Le biographe Victor Bockris, auteur de l’excellente biographie: Keith Richards, une guitare dans les veines, écrit: «Le premier ministre Pierre Trudeau et son épouse Margaret étaient le pendant canadien des Kennedy. Trudeau avait gagné le cœur d’un génération en rencontrant John Lennon en 1971 et «Madcap Margaret( Margaret aux chapeaux dingues) cultivait sa réputation en méprisant le protocole, en fumant de la dope et en se débarrassant de son escorte de la Police montée chaque fois qu’elle le pouvait.

«Quand Margaret apprit la présence des Rolling Stones, elle se précipita chez eux et prit ses quartiers dans leur hôtel, faisant bruyamment la fête avec eux dans les salons, attirant dix fois plus l’attention sur Keith. Cette mondaine choyée de la jet-set était exactement le genre de femme qu’il méprisait. Pour essayer de se lier avec Anita et lui, elle promit vaguement qu’il n’irait pas en prison et offrit de s’occuper de Marlon s’il y allait quand même.»

Notez qu’Anita était l’amie de cœur de Richards et Marlon son fils.

Quelle est la version de Keith Richards? «Je n’ai pas baisé Margaret Trudeau. Mais dans ce cas, qui l’a fait? Qui a arraché le léger peignoir?»

Plus sérieusement, Margaret tâtera de la photographe, écrira des bouquins, sera même actrice. Elle cherche sa voie du mieux qu’elle peut, même si elle fait les délices des journaux à sensation.

Le magazine People l’a incluse parmi les 25 personnalités les plus mystérieuses de 1977.

Avait-elle raison?

Pourtant très orgueilleux de nature, et d’un tempérament rationnel, Trudeau ne s’en cacha jamais: il était toujours amoureux de Margaret. Il a fait une déclaration étonnante à l’écrivain Alain Stanké que l’on retrouve dans son bouquin Occasions de bonheur (un p’tit bijou, je l’ai lu deux fois!).

Stanké avait communiqué avec Trudeau pour une histoire d’édition. Margaret s’apprêtait à publier un livre au contenu plutôt sulfureux. Voici l’échange pris textuellement:

-Mais pourquoi crois-tu qu’elle fait ça? demanda Trudeau à Stanké.

-Il me semble qu’elle souhaitait t’avoir entièrement pour elle. Elle était exaspérée de te voir arriver, en invité de week-end à Harrington Lake, les valises chargées de travail. Elle aurait voulu que tu laisses tomber la politique et que tu la choisisses.

Il y eut un silence. Pierre dit, comme s’il se faisait une réflexion à lui-même:

-Qui sait si elle n’a pas raison, dans le fond?

Jusqu’à la fin

Pierre Trudeau est décédé en 2000. Margaret était à ses côtés. «Ce n’est pas parce que notre mariage avait pris fin que j’ai cessé d’aimer l’homme», a-t-elle affirmé selon Wikipedia.

Dix ans plus tard, Margaret publie Changing My Mind où elle déclare être atteinte de troubles bipolaires.

Justin Trudeau, le fils de Pierre et de Margaret, a déclaré récemment à l’émission Tout le monde en parle: «Je crois que mon père et ma mère s’aimaient vraiment. »

 

Sources:

Occasions de bonheur, Alain Stanké, éditions Hurtubise HMH, 2008, Montréal, 414 pages

Trudeau his Life and Legacy, édition spéciale de Maclean’s, 160 pages

Keith Richards une guitare dans les veines, Victor Bockris, Albin Michel, 1994 (traduction) Paris, 442 pages

Wikipedia anglais aux articles Pierre Trudeau et Margaret Trudeau.

 

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