Je t’aime donc je te kidnappe
Elle s’appelle Elizabeth. Il s’appelle Robert. Ils figurent parmi les couples les plus célèbres de l’histoire. Pas très loin se trouve Flush, le chien d’Élizabeth.
Élizabeth Barrett et Robert Browning naissent en Angleterre, en pleine période victorienne.
Élizabeth vit une enfance heureuse dans la campagne anglaise, écrivant poème par-dessus poème dès l’âge de huit ans. Surdouée, elle lit les grands classiques de la littérature avant l’âge de dix ans. Elle publie son premier poème à l’âge de quatorze ans avec la complicité de son père.
Une amie la décrit: « Une silhouette fine et délicate, avec deux gerbes de bouclettes noires tombant de chaque côté d’un visage particulièrement expressif ; de grands yeux tendres, avec une généreuse frange de cils noirs et un sourire tel un rayon de soleil. »
Malédiction
Au début de la vingtaine, Élizabeth est frappée par une paralysie mystérieuse. Trop de chocs émotifs, semble-t-il, surtout celui causé par la mort de son frère préféré qui se noie avec des amis. Sans compter la mort de sa mère. S’ensuivent troubles nerveux et insomnie chronique. Elizabeth se déplace en fauteuil roulant et consomme de l’opium à des fins thérapeutiques. Elle restera fragile le reste de sa vie.
Et puis il y a ce lourdaud de père qui exige, par conviction religieuse, que tous ses enfants restent célibataires sous peine de les déshériter. Missionnaire à l’occasion, l’homme fait des études bibliques.
Élizabeth adore son père qui, d’ailleurs, la surprotège. Ensemble, ils prient le soir dans la chambre d’Élizabeth. Celle-ci vit comme une religieuse, cloîtrée dans la maison familiale de Londres tout en continuant à publier des poèmes. Son chien Flush lui tient compagnie.
Une lumière
Pas très loin de chez elle, un certain Robert Browning met la main sur l’un de ses poèmes et tombe en admiration devant le talent d’Élizabeth. Ne pouvant se voir, l’homme et la femme nouent une correspondance. C’est le retour vers la lumière pour Élizabeth. Petit à petit, au contact de son admirateur, elle prend conscience qu’elle vit presque dans un tombeau fermé. Elle admire le courage et la force d’âme.
Elle se sent attirée par ce Robert qui prend plaisir à la taquiner. Elle accepte de le rencontrer au bout de deux ans de correspondance sur l’insistance d’un ami.
« Je le reçus pourtant bien à contrecœur. Mais il a une façon d’arranger les choses que je n’ai pas, moi, une façon d’écarter les obstacles. Il écrit les lettres les plus charmantes du monde», dit-elle.
De plus, ce Robert n’est pas n’importe qui. Il fréquente les cercles littéraires de Londres.
« Cet homme sombre, raide, brusque, vigoureux, avec ses cheveux bruns, ses joues rouges et ses gants jaunes était partout » écrit une biographe d’Élizabeth.
Robert multiplie les visites pendant que le père d’Élizabeth fait des affaires dans le quartier de City à Londres. Le prétendant couvre la chambre de la malade de fleurs.
Poètes, hyper cultivés et maîtrisant plusieurs langues, les deux tourtereaux s’entendent à merveille.
Départ clandestin
N’en pouvant plus de cette vie, Robert joue le gros jeu au moment où le père d’Élizabeth songe à envoyer toute sa famille à la campagne, le temps de rénover la maison à Londres. Robert s’alarme. Perdra-t-il son âme sœur? Il arrache Élizabeth à la maison familiale, l’épouse et s’envole vers Florence avec elle.
Voici comment cela s’est passé : « Elle se lève, puis quitte discrètement sa chambre avec sa nurse Wilson. Elle rejoint Browning et les deux amants se marient en l’église paroissiale de St. Marylebone. La cérémonie a duré une demi-heure, avec la nurse et un ami de Robert comme témoins. Après quoi, par respect des convenances et afin de préparer la fuite, les deux femmes reviennent à la maison pour une semaine », écrit Wikipedia.
Le jour venu, Robert et Élizabeth traversent la maison paternelle pendant que le père lit dans la cuisine, le chien Flush avec eux. Elizabeth murmure : « Si Flush aboie, nous sommes perdus ».
Apprenant qu’il s’est fait flouer, le paternel est en colère. Il déshérite sa fille et menace de tuer son chien Flush. Élizabeth ne le reverra jamais plus d’ailleurs.
Libre
La joyeuse Italie, l’amour de Robert et le sevrage de l’opium ramènent Élizabeth à la vie. Elle se remet à marcher et signe des autographes. Elle donne même naissance à un garçon à l’âge de 43 ans.
Le couple vit une vie de rêve pendant 15 ans, alternant voyages et écriture, vivant presque dans la simplicité volontaire. Elle et lui font chacun un bout de chemin sur la voie de la poésie. Tous les deux passeront à l’histoire.
« Est-ce que tu sais que j’ai écrit des poèmes sur toi ? » déclare-t-elle un jour à Robert. Ce sont les fameux « Sonnets portugais », un long poème qui fera date. Tout l’amour qu’elle porte à Robert se trouve dedans.
Elizabeth est morte dans les bras de Robert, après une rechute de sa santé qui l’a obligée à reprendre de l’opium.
Robert Browning raconte les derniers instants: « Puis vint ce que mon cœur gardera jusqu’à ce que je la revoie et au-delà – la plus parfaite expression de son amour pour moi […]. Toujours souriante, heureuse, le visage tel celui d’une jeune fille, en quelques minutes, elle était morte, la tête contre ma joue… Sans attente, sans conscience d’une séparation, Dieu la reprit auprès de lui comme on soulève un enfant endormi dans ses bras jusqu’à la lumière.
Les derniers mots d’Élizabeth ont été pour Robert: « C’est beau » (It’s beautiful), dit-elle.
Robert survivra à Élizabeth pendant une vingtaine d’années. Tout comme elle, il est devenu un immortel de la poésie anglaise. Tout comme elle, il meurt en Italie, dans un palais de Venise.
Elizabeth repose dans un tombeau de marbre blanc à Florence; Robert, à l’abbaye de Westminster à Londres.
(Sources Wikipedia francophone aux articles Elizabeth Barrett et Robert Browning)
Cette histoire est la première d’une série qui se poursuivra la semaine prochaine à lhebdojournal.com