J’ai failli mourir au salon funéraire

Un membre de la famille était exposé. J’avais autour de 10 ans. Vu mon jeune âge, je me suis vite retrouvé au sous-sol avec les cousins et les cousines, une fois la procession devant le cercueil terminé.

Au sous-sol, cousins et cousines se sont mis à bavarder, à déconner, à courir. La joie de vivre poussait doucement la mort dans sa fosse.

Je courais derrière une cousine, essayant de lui mettre la main dessus avant qu’elle n’atteigne les toilettes. Ma cousine a gagné. La porte des toilettes s’est refermée. Sauf que j’avais pris mon élan. Et solide à part ça!

Au dernier moment, j’ai tourné l’épaule et je suis rentré dans le mur. Je me souviens très bien: ma cousine savourait sa victoire derrière la porte.

Pourquoi n’ai-je pas évité le mur? Je vous réponds par une question. Avez-vous déjà mis les pieds dans une ferme? Avez-vous déjà vu un veau en action?

Je vous raconte.

Le veau et Einstein

Mon père faisait l’élevage des veaux. C’est con un veau. J’ai été témoin de sa »conitude» à plusieurs reprises. Voici un exemple.

Le veau se met à courir. Il court comme un enragé. Un mur se dresse à cinq pieds devant lui. Le veau se met à réfléchir. Merde, un mur! se dit le veau. Il se prépare à freiner. BANG! Il rentre dedans.

Couché sur le sol, le veau secoue la tête. Tiens, se dit-il, je vais me montrer plus intelligent que le mur. Je vais courir en sens inverse. Il se relève et se met à courir en sens inverse.

Il court, il court le veau. Un mur se dresse à cinq pieds devant lui. Le veau se met à réfléchir. Merde, un mur! se dit le veau. Il se prépare à freiner. Bang! Il rentre dedans.

Couché sur le sol, le veau secoue la tête. Tiens, se dit-il, je vais me montrer plus intelligent que le mur. Je vais courir en sens inverse.

Et il repart en sens inverse.

Le veau a de la suite dans les idées. Si avoir de la suite dans les idées est un signe d’intelligence, Einstein n’arrive pas à la cheville du veau.

Vous voulez un deuxième exemple de la profondeur de pensée du veau? Lorsqu’on séparait le veau de sa mère, on lui donnait du lait en poudre. Pour l’initier, on plongeait sa tête dans un seau rempli de lait en poudre. Que fait le veau? Il fait des bulles dans le lait. Blurb! Blurb! Blurb!

Il retire sa tête du seau.

-J’veux du lait, dit-il à travers ses deux gros yeux noirs.

-T’avais le nez dedans, le cave!

On plonge sa tête dans le seau. Blurb! Blurb! Blurb!

Le veau retire sa tête du seau.

-J’veux du lait, dit-il.

-Hey le cave, t’avais la face dedans! Regarde-toi, t’en a jusqu’aux oreilles!

Et on plonge sa tête dans le seau. Le veau finit par comprendre.

Mourir au salon funéraire?

Revenons au salon funéraire.

Je vous disais que je suis rentré dans le mur, emporté dans mon élan. Comme le veau, je n’avais pas vu le mur approcher. J’étais trop absorbé par ma cousine. Elle m’aveuglait. Je suis donc rentré dans le mur. BANG!

Au même moment: CRASH! Une horloge s’écrase sur le plancher. À quelques centimètres de moi. Une grosse horloge.. Elle gisait au sol, brisée.

Silence dans le salon. Comme si le temps était suspendu tout à coup. J’ai levé le regard. L’escalier était bondé. J’avais la douloureuse impression que tout l’monde était là à me dévisager. Sauf le mort.

Je dois vous dire que, dans la vie de tous les jours, je longe les murs tellement je suis discret. Exemple: si vous me croisez sur le trottoir, levez le regard. Je me déplace à quatre pattes sur le fil ou sur la branche tellement je suis discret. Méchant gros écureuil, n’est-ce pas! Donc, si vous voyez une grosse queue sur le fil ou la branche, c’est la mienne.

Retournons au salon funéraire. Terrorisé, je regardais l’horloge agoniser tandis que les secondes, les minutes et les heures s’éparpillaient sur le plancher. Je tremblais. Un pouce de plus et je l’avais sur le coco.

J’ai fini la journée seul. À tuer le temps dans mon coin.

La question qui tue: peut-on mourir au salon funéraire?

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