Une firme de cryptage de courriels contredit le témoignage de Cameron Jay Ortis

OTTAWA — Une entreprise qui offre un service de courriels cryptés conteste l’affirmation d’un ancien responsable de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), qui a soutenu à son procès que cette firme travaillait secrètement pour le compte d’une agence de renseignement.

Lors de son procès en Cour supérieure de l’Ontario, Cameron Jay Ortis a témoigné qu’un allié étranger lui avait parlé d’un plan visant à encourager des cibles d’enquête à commencer à utiliser Tutanota, un service de cryptage en ligne qu’il a qualifié d’opération de «vitrine» créée par des agents du renseignement pour espionner des adversaires.

M. Ortis a déclaré qu’il avait alors commencé à attirer des cibles de l’enquête en leur promettant des informations secrètes, dans le but, en fait, de les amener à communiquer avec lui via le service de cryptage Tutanota.

Dans une déclaration publiée lundi sur son site internet, Tuta, comme s’appelle maintenant cette entreprise, a qualifié les affirmations de M. Ortis de complètement fausses et a nié tout lien avec des services secrets.

«Tutanota n’a jamais exploité et Tuta n’exploitera jamais de “vitrine” pour une quelconque agence de renseignement ou d’application de la loi, a déclaré la société allemande. Cela contredirait complètement notre mission en tant qu’organisation de protection de la vie privée.»

Tutao GmbH, la société derrière Tuta, a été fondée en 2011 par Arne Möhle et Matthias Pfau, qui se connaissaient pour avoir étudié ensemble à l’université de Hanovre, en Allemagne, ajoute le communiqué.

«À ce jour, l’entreprise est détenue à 100 % par Matthias et Arne et ne dépend de personne d’autre.»

Cameron Jay Ortis, âgé de 51 ans, a plaidé non coupable d’avoir violé la Loi sur la protection de l’information en révélant des secrets à trois personnes et en tentant de le faire dans un quatrième cas, ainsi que d’abus de confiance et d’infraction informatique.

La Couronne soutient que M. Ortis n’avait pas le pouvoir de divulguer des documents classifiés et qu’il ne le faisait pas dans le cadre d’une sorte d’opération d’infiltration.

M. Ortis a déclaré qu’il n’avait pas parlé à ses supérieurs du plan visant à inciter les cibles à utiliser Tutanota parce que son homologue étranger lui avait conseillé de ne rien dire et que, de plus, les cibles avaient des sources au sein des services canadiens d’application de la loi.

Les journalistes et le grand public ont été exclus de la salle d’audience pour le témoignage de M. Ortis au début du mois, mais les transcriptions ont désormais été publiées.

M. Ortis était le directeur du groupe de recherche opérationnelle de la GRC, qui compilait et développait des informations confidentielles sur les cellules terroristes, les réseaux criminels transnationaux, les cybercriminels et l’espionnage commercial.

Il a été arrêté en septembre 2019.

Le processus menant à cette arrestation a commencé l’année précédente, lorsque la GRC a analysé le contenu d’un ordinateur portable appartenant à Vincent Ramos, président-directeur général de Phantom Secure Communications, qui avait été arrêté aux États-Unis.

Une opération de la GRC connue sous le nom de Projet Saturation a révélé que des membres d’organisations criminelles utilisaient les appareils de communication cryptés de Phantom Secure.

Ramos a plus tard plaidé coupable d’avoir utilisé ses appareils Phantom Secure pour faciliter la distribution de cocaïne et d’autres drogues illicites vers plusieurs pays dont le Canada.

Un enquêteur à la retraite de la GRC a dit au jury qu’il avait trouvé un courriel adressé à Ramos provenant d’un expéditeur inconnu contenant des parties de plusieurs documents, y compris la mention de documents provenant de l’agence fédérale anti-blanchiment d’argent, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE).

L’expéditeur a proposé plus tard de fournir à Ramos les documents complets en échange de 20 000 $.

M. Ortis reconnaît qu’il était à l’origine des messages adressés à Ramos et à d’autres personnes, affirmant que tout cela faisait partie de l’opération clandestine impliquant Tutanota.

Lors d’un contre-interrogatoire, M. Ortis a généralement minimisé la sensibilité des documents présentés aux cibles.

À un certain moment, le procureur de la Couronne John MacFarlane a interrogé M. Ortis au sujet d’une page d’un résumé de divulgation du CANAFE envoyé à Ramos.

M. MacFarlane a suggéré que la divulgation de l’information confirmait à Ramos que le CANAFE enquêtait sur son entreprise, révélant le nombre de transactions suspectes que l’agence avait signalées.

M. Ortis a répondu qu’il pensait que Ramos était déjà conscient de l’intérêt des autorités, sinon de cet ensemble particulier de données.

«Lorsqu’une entreprise a des problèmes avec ses comptes et que les banques remarquent des transactions suspectes, la banque elle-même fournit des informations sur ces transactions suspectes.»