Une enquête publique sur l’ingérence chinoise aurait des «limites», dit une experte

OTTAWA — Une enquête publique et indépendante sur l’ingérence chinoise telle que réclamée par les partis d’opposition se buterait aux «mêmes limites» que l’étude parlementaire en cours, croit la conseillère d’Ottawa en sécurité nationale et renseignement, Jody Thomas.

«Nous ne pouvons pas parler dans un forum public des informations qui ont trait à la sécurité nationale», a-t-elle dit mercredi au cours de son témoignage devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, qui se penche sur les allégations d’ingérence durant les deux dernières élections fédérales.

Mme Thomas, qui travaille au Bureau du Conseil privé – le ministère responsable du Bureau du premier ministre – a néanmoins souligné qu’elle considère que le travail fait en comité est important.

«Je pense que des enquêtes comme celle-ci sont importantes quand vient le temps de comprendre ce qui se passe. (…) Je crois qu’il est important de parler d’ingérence étrangère (et) de processus électoral», a-t-elle résumé.

La conseillère a ajouté que, si une autre enquête était lancée, celle-ci devrait à son avis avoir lieu seulement devant les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

«(Ce comité) a été créé pour des situations comme celles-ci où nous pouvons absolument être transparent avec eux et ils peuvent voir de l’information protégée puisque secrète ou top secrète (et qui vise à) informer les décideurs», a affirmé Mme Thomas.

Quelques minutes avant la comparution de l’experte devant les élus,le chef conservateur Pierre Poilievre a joint sa voix à celles des autres partis d’opposition pour réclamer la tenue d’une enquête publique et indépendante sur l’ingérence chinoise.

Depuis plusieurs jours, bloquistes et néo-démocrates demandaient le déclenchement d’une telle enquête.

D’anciens conseillers du premier ministre, comme Gerald Butts, ont également dit au «Globe and Mail» que cela était nécessaire.

Le but de pareil exercice est de «savoir exactement ce que le gouvernement autoritaire à Pékin a fait» et de «savoir s’il y avait des partis politiques au courant de ces actions», a fait valoir M. Poilievre.

Les conservateurs demandent aussi à ce que la cheffe de cabinet du premier ministre Trudeau, Katie Telford, comparaisse devant le comité parlementaire poursuivant son étude.

Durant la réunion du comité de mercredi, le leader parlementaire néo-démocrate, Peter Julian, a présenté une motion visant à ce que le comité demande une enquête indépendante. Une porte-parole de la formation politique a indiqué que le vote sur cette motion aura lieu jeudi.

La leader adjointe du Bloc québécois, Christine Normandin, a pour sa part mis de l’avant une motion bloquiste semblable, laquelle précise quant à elle que le commissaire dirigeant une éventuelle enquête publique devra être nommé «à la suite d’une entente entre les partis».

Les conservateurs sont vraisemblablement d’accord avec ce dernier point, si l’on se fie aux propos de leur chef. «Ça doit être vraiment indépendant et public. (…) Ça veut dire que tous les partis devraient être d’accord sur la nomination du commissaire», a dit M. Poilievre.

En point de presse en Colombie-Britannique, le premier ministre Justin Trudeau a contourné à maintes reprises les questions des journalistes qui lui demandaient s’il déclenchera l’enquête publique réclamée.

Il a plutôt énuméré les mesures mises en place par son gouvernement pour faire face aux enjeux d’ingérence étrangère. «On a actuellement énormément de processus publics qui sont en train de se tenir: un comité parlementaire, un comité de parlementaires sur la sécurité nationale qui a la capacité de se pencher sur les enjeux top secret et classifiés», a-t-il notamment mentionné.

Le premier ministre n’a toutefois pas fermé la porte à la fameuse enquête, affirmant être «toujours ouvert à en faire plus» pour rassurer les Canadiens que les institutions sont «robustes et outillées pour contrer l’ingérence étrangère».

Plus tôt mercredi, l’ambassade de Chine à Ottawa a démenti les informations faisant état de tentatives d’ingérence électorale au Canada, affirmant que ces allégations «sans fondement» et «diffamatoires» nuisent aux relations diplomatiques.

Le gouvernement libéral subit des pressions depuis quelques semaines pour expliquer ce que fait le Canada au sujet d’allégations d’ingérence chinoise lors des deux dernières élections fédérales. Ces allégations ont été évoquées dans des fuites anonymes aux médias provenant de sources dans des agences canadiennes de sécurité.

Dans un courriel transmis mercredi à La Presse Canadienne, l’ambassade chinoise à Ottawa assure que la Chine «s’est toujours fermement opposée à toute tentative d’ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays».

L’ambassade indique que la Chine n’est pas intéressée à se mêler des affaires intérieures du Canada et qu’elle n’a jamais tenté de le faire.

L’ambassade affirme que tous ses consulats respectent la Convention de Vienne sur les relations consulaires, qui prévoit notamment «le devoir de ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures» de l’État où les diplomates sont en poste.

L’ambassade plaide également qu’elle a conclu des accords bilatéraux avec le Canada qui obligent les diplomates à se comporter «de manière ouverte et irréprochable» dans le pays hôte.

Dans le courriel, l’ambassade accuse certaines agences canadiennes, ainsi que des médias, de créer et de diffuser de la «désinformation» sur la Chine et d’«empoisonner l’atmosphère médiatique» sur le pays.

En témoignant, Mme Thomas a de son côté soutenu que les tentatives d’ingérence étrangère dans les affaires du Canada sont à la hausse et que la Chine est le principal État derrière ces menaces.

Elle a rappelé qu’un comité surveillant toute ingérence dans les élections générales de 2019 et 2021 a conclu que ces dernières avaient été justes et légitimes malgré les tentatives d’ingérence.

À ses côtés, le sous-ministre à la Sécurité publique, Shawn Tupper, a fait savoir que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n’enquêtait sur aucune allégation d’ingérence survenue dans la foulée du dernier scrutin.

Mardi, un rapport évaluant le travail du comité de surveillance des électionsa conclu que le gouvernement fédéral devrait envisager d’abaisser le seuil au-delà duquel il informe les Canadiens d’une ingérence potentielle dans une campagne électorale.

Le rapport indépendant de l’ancien haut fonctionnaire Morris Rosenberg a néanmoins conclu que le protocole conçu pour informer les Canadiens en cas de menaces à l’élection fédérale de 2021 fonctionnait bien dans l’ensemble.

-Avec des informations de Michel Saba et de Dylan Robertson