Une ancienne membre du cabinet Harper réclame une position plus ferme face à la Chine

OTTAWA — Le gouvernement fédéral n’en fait pas assez pour combattre l’ingérence étrangère, de l’avis de l’ancienne cheffe adjointe de cabinet du premier ministre conservateur Stephen Harper — une opinion partagée par des experts du milieu de la sécurité.

Jenni Byrne, qui a aussi dirigé les campagnes électorales des conservateurs en 2011 et 2015, a témoigné jeudi devant un comité de la Chambre des communes qui se penche sur l’ingérence étrangère.

Selon elle, le gouvernement n’est pas assez ferme envers la Chine, en plus de détourner le regard en ce qui a trait à l’ingérence présumée de ce pays dans la démocratie canadienne.

Mme Byrne a toutefois nié avoir été informée d’allégations d’ingérence étrangère dont les agences de sécurité affirment avoir eu connaissance pendant son mandat.

Pour appuyer son point de vue, Mme Byrne a noté que le gouvernement a attendu deux ans avant d’expulser un diplomate chinois qui aurait été impliqué dans un stratagème mis en place en 2021 pour intimider le député conservateur Michael Chong et ses proches à Hong Kong.

«Ça donne froid dans le dos, et ça devrait donner froid dans le dos de tous les députés, peu importe leur parti», a-t-elle mentionné.

«Si un gouvernement permet des choses comme celles-là, il rend chaque député susceptible d’être soumis à de l’ingérence étrangère en raison de ses positions à la Chambre des communes», a-t-elle prévenu.

Les allégations selon lesquelles M. Chong a été ciblé par le régime de Pékin sont venues aux oreilles du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) peu de temps après qu’il s’est prononcé en faveur d’une motion condamnant les gestes de la Chine en matière de droits de la personne.

M. Chong, tout comme le premier ministre Justin Trudeau et d’autres politiciens, a soutenu ne pas avoir été mis au parfum de ce possible complot au moment des faits. Il a plutôt affirmé avoir découvert le tout dans les médias récemment.

Le Canada a annoncé plus tôt cette semaine qu’il expulsait le diplomate qui aurait été impliqué dans ce dossier. Pékin a ensuite répliqué en expulsant à son tour une diplomate canadienne en Chine.

Appels à en faire plus

Alors que M. Trudeau et ses ministres continuent d’être mis sous pression en raison d’allégations d’ingérence de la Chine dans les élections fédérales de 2019 et 2021, des témoins spécialisés en matière de sécurité nationale ont martelé jeudi que le gouvernement devrait aller plus loin pour se protéger de l’ingérence, notamment en créant un registre des agents étrangers et en déclenchant une enquête publique indépendante.

Lors des audiences en comité, la députée libérale Ruby Sahota a assuré qu’un registre des agents étrangers «sera mis en place dans les prochains mois», à la suite des consultations qui viennent de se terminer.

Le gouvernement n’a pas exclu la possibilité de tenir une enquête publique sur l’ingérence, mais il a d’abord demandé à son rapporteur spécial sur la question, l’ancien gouverneur général David Johnston, de formuler une recommandation à ce sujet.

De son côté, l’ancien officier du SCRS Michel Juneau-Katsuya a révélé que des élus, tant conservateurs que libéraux, se sont retrouvés victimes de tentatives d’ingérence étrangère.

Selon lui, le gouvernement canadien devrait expulser davantage de diplomates chinois, qui sont trop nombreux au pays.

En date du 16 mars dernier, 178 diplomates enregistrés étaient accrédités auprès de l’ambassade et des consulats de Pékin au Canada, et cinq autres étaient accrédités auprès de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) à Montréal.

«Il n’y a aucune raison d’avoir autant de diplomates chez nous d’un pays qui ne veut même pas faire affaire avec nous», a-t-il plaidé lors de son témoignage devant le comité.

L’analyste a ajouté que le SCRS sait depuis le milieu des années 1990 que les gouvernements conservateurs et libéraux ont été compromis par la Chine. Sans fournir de preuves spécifiques, il a confirmé que l’agence a déjà averti les différents cabinets de ce type de problèmes par le passé.

«Jamais venu à l’esprit»

Dans un rapport public couvrant la période de 2011 à 2013, le SCRS a indiqué que l’ingérence étrangère était une menace croissante au Canada.

Cependant, Mme Byrne a déclaré qu’elle n’avait pas été informée de cas d’ingérence d’agents malveillants lors des campagnes fédérales de 2011 et 2015, ou lorsqu’elle travaillait au cabinet du premier ministre Harper.

Elle a mentionné qu’une telle ingérence «n’est jamais venue» à son esprit, parce qu’elle «n’a jamais pensé que des acteurs étrangers participaient au processus électoral».

Le député néo-démocrate Matthew Green a soulevé qu’il était «très douteux» qu’une personne ayant l’habilitation de sécurité dont disposait Mme Byrne «n’ait jamais envisagé une ingérence étrangère».

«Soit vous le saviez et vous n’avez rien fait, soit vous ne saviez pas et vous êtes incompétente», a laissé tomber M. Green, empruntant des lignes au député conservateur Michael Cooper, qui a utilisé la même formulation lorsqu’il a interrogé des représentants du gouvernement pendant les travaux du comité.