Tuerie en N.-É.: la GRC a-t-elle sous-estimé des signalements de violence conjugale ?

HALIFAX — Le récit d’un ancien policier de la GRC selon lequel un appel de 2013 impliquant l’auteur de la tuerie en Nouvelle-Écosse concernait des «troubles» de routine – plutôt que de la violence conjugale grave – est confronté à des preuves contradictoires à l’enquête publique.

Les agressions contre la conjointe sont au cœur du mandat de la commission, qui consiste notamment à examiner la violence fondée sur le sexe. Ces agressions donnent également un aperçu du traitement réservé par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) aux signalements de violence faite aux femmes visant le tueur avant le meurtre de 22 personnes les 18 et 19 avril 2020.

Brenda Forbes, une ancienne voisine du tueur, a raconté sous serment la semaine dernière qu’un témoin lui avait dit que Gabriel Wortman avait épinglé sa femme, Lisa Banfield, au sol et l’avait étranglée à Portapique, à l’été 2013. 

Elle a également témoigné qu’elle avait parlé à deux policiers de cette agression, mais que «rien n’avait été fait» par la suite.

Son témoignage a été comparé au récit du policier de la GRC Troy Maxwell, qui a pris sa retraite l’an dernier. Il a déclaré aux enquêteurs le 29 avril dernier qu’en fait, Mme Forbes avait appelé pour se plaindre que le tueur roulait à vive allure dans la petite communauté à bord d’un ancien véhicule de patrouille.

Ses anciennes autopatrouilles

M. Maxwell, qui doit témoigner sous serment mardi, a déclaré aux enquêteurs que s’il y avait eu des preuves de violence conjugale, la police aurait arrêté Wortman.

Mais dans son témoignage, vendredi, Mme Banfield a déclaré à la commission que Wortman ne possédait pas en 2013 d’ancienne autopatrouille, ce qui contredit directement un point clé de la version de l’ancien policier de la GRC. De plus, l’enquête a recueilli des preuves qui laissent croire que le tueur a acquis ses quatre anciens véhicules de patrouille à partir de 2019, sur un site de surplus du gouvernement fédéral.

Mme Banfield a également confirmé vendredi qu’elle avait été étouffée par le tueur sur sa pelouse à Portapique, sous les yeux de l’oncle de Wortman, Glynn Wortman. Or, cet oncle a confirmé l’agression dans une déclaration à la police. 

De plus, Richard Ellison, un ancien voisin, a déclaré lors d’entretiens avec la police que son frère David et un autre voisin avaient été tous les deux témoins de l’agression.

Mme Banfield n’a pas été interrogée vendredi sur la date de cette agression; Glynn Wortman et Richard Ellison n’ont pas encore fourni de preuves supplémentaires à la commission d’enquête sur la tuerie.

Des documents «purgés» 

Le résumé de l’enquête publique sur la violence qu’a subie Mme Banfield indique qu’après la tuerie d’avril 2020, la GRC a mené une enquête interne sur la façon dont la plainte de Mme Forbes avait été traitée. On y apprend que cette enquête a largement adhéré à la version des faits de l’agent Maxwell. 

De plus, le résumé souligne que le détachement où travaillait le policier Maxwell avait «purgé» de son système les dossiers de la plainte de Mme Forbes.

Dans une page des notes de l’agent Maxwell, déposées en preuve à la commission, on lit le prénom de Mme Banfield et le nom de Glynn Wortman – deux des principaux témoins de l’agression par étouffement. La commission cite aussi un enquêteur de la GRC qui indique que «Maxwell n’a pas mentionné pourquoi» le nom de Glynn Wortman se trouvait dans ses notes. Dans son entretien aux enquêteurs de la commission, l’ex-policier Maxwell a déclaré qu’il ne se souvenait pas pourquoi il avait noté ces noms.

Selon un rapport de la GRC de juin 2020, l’agent Karl MacIsaac est allé avec son collègue Maxwell pour parler à Mme Forbes à Debert, pour l’enquête de 2013, tandis que la caporale Kenda Sutherland a accompagné M. Maxwell à Portapique. 

Cependant, le rapport indique qu’aucun de ces policiers n’a été en mesure de retrouver des notes sur la plainte de Mme Forbes, et aucun ne peut se souvenir des détails de ce dossier.

Un deuxième signalement

La commission a également entendu parler d’une deuxième agression violente commise par le tueur contre Mme Banfield en 2003, à Sutherland Lake, au nord de Portapique. Des témoins étaient présents et la police a été appelée, mais encore une fois, les détails de l’enquête policière sont incomplets et «ne sont pas clairs», selon un résumé préparé par la commission. «Les dossiers de police ont peut-être été purgés à ce stade, mais la commission continue d’enquêter», indique-t-on. 

Lorsqu’on lui a demandé si l’enquête assignerait à comparaître l’oncle Glynn Wortman ou d’autres témoins de l’agression par étouffement contre Mme Banfield, l’avocate principale de la commission, Emily Hill, a répondu: «Nous avons tenté de contacter plusieurs de ses proches; cependant, ils n’ont pas répondu à l’appel de notre équipe».

Joshua Bryson, un avocat qui représente la famille des victimes Peter et Joy Bond, a déclaré en entrevue lundi qu’il espérait que le témoignage mardi de l’ex-policier Maxwell éclaircirait les «contradictions apparentes dans les preuves».

«La police avait-elle des informations selon lesquelles la violence domestique était en cours à ce moment-là? Y aurait-il dû y avoir une intervention en 2013? C’est ce que nous devons étoffer», croit Me Bryson.