T.-N.-L. aimerait bien être l’«alternative pétrolière», mais ce ne serait pas simple

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Andrew Furey, affirme que le pétrole de sa province pourrait aider les pays à se détourner des combustibles fossiles russes, mais les experts préviennent que ce plan ne serait pas si simple.

Bien qu’il puisse y avoir une demande immédiate, il n’y a aucun moyen d’augmenter rapidement la production de pétrole dans les champs pétrolifères extracôtiers de Terre-Neuve, rappellent des experts. Et finalement, tout nouveau projet pétrolier doit encore tenir compte du changement climatique et de ses effets sur les marchés mondiaux.

«Il y a des coûts environnementaux, qui peuvent être assez élevés», déclarait mardi Doug May, professeur d’économie à l’Université Memorial. «Alors, comment équilibrer l’un par rapport à l’autre — et le bien-être de qui nous soucions-nous vraiment?»

Mardi, le président américain Joe Biden a annoncé que son pays interdirait toutes les importations de pétrole russe, en représailles à l’assaut du président Vladimir Poutine contre l’Ukraine. Les États-Unis sont l’un des cinq principaux importateurs de produits pétroliers raffinés russes, selon les données de l’Observatoire de la complexité économique. Les chiffres du gouvernement montrent que le pays a importé près de 700 000 barils par jour de pétrole brut et de produits pétroliers russes en 2021.

Le Canada a également interdit toutes les importations de pétrole brut russe, même si elles étaient négligeables.

Le premier ministre Furey déclarait aux journalistes la semaine dernière que le pétrole de Terre-Neuve-et-Labrador pourrait combler ces lacunes d’approvisionnement, puisque «le monde reconnaît qu’il ne peut pas compter sur un tyran qui contrôle les marchés de l’énergie». 

M. Furey a répété ces sentiments quelques jours plus tard, après qu’Ottawa a annoncé qu’il retardait de 40 jours une décision du ministre de l’Environnement sur la possibilité pour le géant pétrolier norvégien Equinor de développer un nouveau projet extracôtier, «Bay du Nord», situé à environ 500 km au large de Saint-Jean.

«Nous disposons d’un produit dont le monde a plus que jamais besoin», a rappelé M. Furey sur Twitter.

C’est un argument convaincant, estime M. May, et cela pourrait influencer certains décideurs à Ottawa, mais le professeur d’économie rappelle que cet argument d’urgence n’efface pas les préoccupations concernant le changement climatique.

Échéanciers et environnement

La société Equinor estime qu’il y a environ 300 millions de barils de pétrole récupérables dans le champ extracôtier «Bay du Nord», bien que les experts de l’industrie parlent plutôt de 800 millions environ. Par contre, la production ne commencerait pas avant au moins 2025, indique le site internet de la société.

«Il y a un décalage entre les échéanciers de tous les projets et l’écart d’approvisionnement que nous constatons actuellement sur le marché», a rappelé Sara Hastings-Simon, professeure adjointe de physique à l’Université de Calgary, qui siège au conseil d’administration du Pembina Institute, un groupe de réflexion canadien sur l’énergie.

Par ailleurs, la crise du pétrole russe pourrait également accélérer l’abandon des combustibles fossiles, a déclaré Mme Hastings-Simon. La flambée des prix du pétrole et du gaz, par exemple, pourrait inciter les consommateurs à acheter des véhicules électriques ou à changer la façon dont ils chauffent leur maison, selon elle.

Il y a aussi un sentiment croissant dans la population que les citoyens ont une responsabilité individuelle de faire leur part pour atténuer la demande de pétrole russe, en réduisant leur propre consommation d’énergie, a-t-elle ajouté. Par exemple, l’Agence internationale de l’énergie encourage les résidents de l’Union européenne à utiliser moins de gaz naturel, car environ 40 % de leur approvisionnement provient de Russie.

Le professeur May estime aussi que les projets pétroliers extracôtiers sont de plus en plus risqués alors que le monde, en réponse au changement climatique, essaie de se sevrer du pétrole – peu importe d’où il vient. Ces projets d’exploitation coûtent cher, s’échelonnent sur le long terme et nécessitent quelques années de développement avant même de commencer à produire, a-t-il rappelé.

Même si Ottawa approuve le nouveau projet «Bay du Nord», l’entreprise devra encore décider si tous les risques en valent encore la peine, a ajouté le professeur d’économie. La décision d’Equinor, le 28 février, d’arrêter tous les nouveaux investissements en Russie et de commencer à quitter ses entreprises existantes dans ce pays ajoutera probablement aux complications, a-t-il déclaré.