Santé Canada mise sur la bonne foi du cigarettier pour encadrer la vente de nicotine

MONTRÉAL — L’histoire se répète, alors que Santé Canada met des «lunettes roses» en donnant le bénéfice du doute à l’industrie de la nicotine, selon la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. Après avoir accroché des milliers de jeunes à la nicotine avec ses arômes de vapotage, l’industrie revient à la charge sous le couvert du règlement sur les produits de santé naturels avec des sachets comestibles qu’elle jure vouloir tenir loin des jeunes.

Malgré la longue feuille de route de multirécidiviste de l’industrie de la nicotine, Santé Canada explique avoir accordé une autorisation aux sachets de nicotine Zonnic, liés au cigarettier Imperial Tobacco, puisqu’ils donnent aux Canadiens «un outil supplémentaire pour arrêter de fumer».

«C’est comme mettre des lunettes roses! C’est ce qu’on nous avait dit par rapport aux produits de vapotage. Le but, c’était de donner accès aux adultes et plus spécifiquement aux fumeurs. Mais les statistiques montrent que le taux de vapotage augmente plus rapidement auprès des non-fumeurs et notamment ceux qui sont jeunes», martèle la codirectrice et porte-parole de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), Flory Doucas. 

«C’est une porte d’entrée vers la dépendance à la nicotine», renchérit-elle. 

Santé Canada souligne dans une réponse transmise à La Presse Canadienne qu’un sachet contenant 4 milligrammes ou moins de nicotine est considéré comme un produit de santé naturel et qu’il est soumis au règlement qui les encadre. On ajoute que ces produits «sont autorisés aux personnes de 18 ans et plus et ne doivent pas être vendus à des mineurs».

Or, les groupes de défense révèlent qu’un peu partout au Canada, des sachets de nicotine sont mis en marché aux côtés de friandises en vantant leur arôme de «brise tropicale» ou de «baies givrées».

De plus, pendant que le fabricant se drape dans la vertu de promouvoir l’arrêt tabagique chez les adultes, ses publicités vendent plutôt un idéal de bon temps entre amis et de mode de vie branché, dénonce Mme Doucas.

«Les jeunes n’aspirent pas à être des jeunes, les jeunes aspirent à être des adultes et notamment des jeunes adultes branchés. C’est exactement ce qui est mis de l’avant dans les campagnes publicitaires», plaide-t-elle en rappelant que les tribunaux ont maintes fois réprimandé l’industrie pour de telles pratiques.

À ce sujet, Santé Canada affirme que «le marketing destiné aux jeunes serait considéré comme une publicité trompeuse et pourrait déclencher des mesures de conformité après la commercialisation» du produit.

Au cabinet du ministre fédéral Mark Holland, on se dit «très préoccupés» par le fait que des produits contenant de la nicotine puissent être vendus à des jeunes. On affirme examiner cet enjeu afin de s’assurer «que ces produits sont vendus dans le but pour lequel ils ont été approuvés».

Par voie de communiqué, Imperial Tobacco insiste sur le fait que son Zonnic est «un produit de thérapie de remplacement de la nicotine» destiné aux adultes voulant cesser de fumer. L’entreprise serait également favorable «à une réglementation qui limiterait la vente» de ces produits aux personnes de 18 ans et plus.

Réservé aux pharmacies

Au Québec, la vente de sachets de nicotine est déjà légèrement plus encadrée qu’ailleurs au pays puisque la commercialisation de tels produits est réservée aux pharmacies. En vertu de la Loi sur la pharmacie, «la nicotine et ses sels» sont inscrits sur la liste des «médicaments destinés aux humains et vendus sous surveillance pharmaceutique».

Malgré tout, le directeur national de santé publique, le Dr Luc Boileau, a qualifié cet enjeu d’«inquiétude émergente» et a dit être «attentif à la situation» puisqu’il s’agit d’«un produit relativement nouveau sur l’écran radar».

En conférence de presse à Montréal, mercredi, il a mentionné que ces produits font partie de l’arsenal mis à la disposition des gens qui veulent cesser de fumer. Toutefois, l’«utilisation secondaire par des gens qui n’ont pas ce profil-là, ça c’est une source d’inquiétude», a-t-il reconnu.

Flory Doucas craint de son côté de voir les jeunes être bombardés de publicité et séduits par le produit. Ils pourraient alors très bien se procurer des sachets de nicotine dans les pharmacies puisque ceux-ci pourraient se retrouver en vente libre sur les tablettes plutôt que derrière le comptoir auprès du pharmacien.

En plus de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, la Société canadienne du cancer, Médecins pour un Canada sans fumée, l’Association pulmonaire du Canada, Cœur + AVC et Action on Smoking and Health ont interpellé le ministre fédéral Mark Holland et Santé Canada afin qu’ils agissent rapidement pour suspendre la vente de sachets de nicotine ou pour exiger une ordonnance médicale.

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