Retour sur les feux: un maire se cachait pour éviter l’angoisse à ses citoyens

MONTRÉAL — Lors de la première évacuation de Lebel-sur-Quévillon en juin dernier, le maire Guy Lafrenière a passé plusieurs nuits à se cacher dans une autre municipalité, afin d’éviter que ses citoyens paniquent inutilement à l’idée que la ville, menacée par le feu, soit complètement vide. Retour sur les incendies de forêt historiques avec deux élus des villes affectées.

Le 5 juin dernier, trois jours après l’évacuation de la municipalité, il ne restait qu’une dizaine de résidants à Lebel-sur-Quévillon: le maire, deux employés de la Ville et des pompiers volontaires.

En soirée, le feu était devenu si menaçant que le maire Guy Lafrenière a sommé ceux qui étaient toujours sur place avec lui de discrètement trouver un endroit où dormir dans une autre ville, à une centaine de kilomètres au sud.

«C’est trop dangereux, vous devez aller vous cacher à Senneterre, parce qu’il ne faut pas que les citoyens vous voient», leur a expliqué le maire.

Guy Lafrenière s’est également caché à Senneterre ce soir-là, ainsi que le mardi, le mercredi et le jeudi soir.

«Il ne fallait pas que les citoyens sachent que la ville était complètement vide (…), on faisait ça pour leur éviter l’inquiétude et la panique», a raconté le maire à La Presse Canadienne.

Il a révélé que la mairesse de Senneterre, Nathalie-Ann Pelchat, l’attendait ce soir-là.

«Elle m’attendait à son bureau, je suis entré tard le soir, par une porte arrière, et elle m’avait préparé à souper.»

Le maire de Lebel-sur-Quévillon a expliqué que la mairesse Pelchat lui avait fourni un local de travail, avec des murs peints de la même couleur que son bureau à l’hôtel de ville de Lebel-sur-Quévillon.

«Ça me prenait un bureau qui ressemblait au mien pour que personne ne se rende compte que je faisais mes entrevues à partir de Senneterre», a confié le maire qui s’adressait à l’époque quotidiennement aux médias.

Pendant les jours suivant le 5 juin, chaque matin, le maire reprenait la route vers le Nord pour aller passer la journée à Lebel-sur-Quévillon afin d’observer l’avancée du feu et s’enquérir de l’étendue des dégâts.

Quand le jour tombait, il retournait à l’hôtel de ville de Senneterre.

«J’attendais la nuit pour traverser la rue et aller dormir à l’hôtel.»

«J’espère que tu vas être là demain»

En racontant ces événements à La Presse Canadienne, Guy Lafrenière est revenu sur le moment où la Société de protection des forêts contre le feu (SOPFEU) lui a conseillé de quitter sa ville, et les longues heures d’angoisse qui ont suivi.

«On est parti, tout le monde à huit heures le soir et j’ai débarqué au club de golf de la ville. C’est la place la plus haute pour voir la ville à la sortie. J’ai débarqué de mon camion et j’ai regardé la ville. Là, j’ai dit “j’espère que tu vas être là demain matin, sinon moi, je ne serai plus maire, j’aurai plus de maison, mes enfants non plus. Mes petits-enfants non plus, mes amis non plus ».»

Les résidants de Lebel-sur-Quévillon ont pu réintégrer leur domicile deux semaines après cette évacuation, mais le soulagement fut de courte durée, car ils ont à nouveau reçu l’ordre de quitter la localité à la dernière semaine du mois de juin.

Un mode de vie bouleversé

Les feux ont laissé des traces dans le paysage, l’économie, mais aussi sur la santé des citoyens, à Lebel-sur-Quévillon, Chibougamau et dans plusieurs autres communautés touchées par ces incendies historiques.

«Les gens ont été stressés longtemps, la vie est revenue un peu à la normale à la mi-septembre», a expliqué Guy Lafrenière en soulignant qu’il a fallu plusieurs épisodes de pluie pour que la population se sente vraiment en sécurité.

«Mais il y en a qui ont tellement eu peur qu’ils ne reviendront jamais», s’est désolé le maire en parlant de familles qui ont tout simplement quitté la région.

Il estime que les feux de forêt ont décimé des centaines d’infrastructures, des chalets pour la pêche et des camps de chasse surtout.

Le mode de vie de plusieurs Quévillonnais a été complètement bouleversé.

«Le vendredi, les gens partaient dans le bois pour le week-end, mais là, presque tout a passé au feu, les abris, la villégiature… C’est un changement de vie radical.»

Autant à Lebel-sur-Quévillon qu’à Chibougamau, une ville qui a également été évacuée en catastrophe en juin dernier, les citoyens attendent avec appréhension la prochaine saison de la pêche.

«On va être en mesure de mesurer les retombées touristiques de la pêche l’été prochain», a expliqué la mairesse de Chibougamau, dans une entrevue avec La Presse Canadienne.

Mais ce qui inquiète le plus la mairesse Manon Cyr, c’est l’impact que les incendies auront sur l’industrie forestière, au cœur de l’activité économique de la région.

La superficie brûlée en 2023, causée à 99,9 % par la foudre selon la SOPFEU, est plus élevée que la somme des 20 dernières années, toutes causes confondues.

«C’est un drame» et «c’est un capital forestier qui est parti en fumée et qu’on ne retrouvera pas avant longtemps».

Une baisse de la récolte de bois

Les feux de forêt ont forcé le Forestier en chef du Québec à recommander une baisse de la récolte de bois pour la période 2023-2028.

Cette baisse de la capacité forestière est évaluée à plus de 619 400 mètres cubes.

Selon les estimations de l’industrie, «c’est l’équivalent de la quantité de bois nécessaire à la fabrication de 13 000 maisons par année», a expliqué la mairesse de Chibougamau.

Pour diminuer l’impact de cette diminution forestière, elle s’attend à ce que le gouvernement mette en place une stratégie.

«Nos demandes au gouvernement du Québec toucheront certainement l’augmentation des budgets pour les travaux sylvicoles et de régénération de la forêt», a indiqué Manon Cyr.

Une forêt qui doit s’adapter au climat

Les incendies de forêt de 2023 ont décimé 4,5 millions d’hectares de forêt et un vaste chantier est nécessaire pour rendre les forêts plus résilientes aux changements climatiques.

Dans le passé, c’était surtout l’industrie forestière qui dictait le type d’arbre qui était planté dans le nord du Québec, et elle privilégiait des espèces comme l’épinette blanche ou l’épinette noire, qui sont utilisées dans la production de bois de construction.

Mais ces arbres sont peu résilients aux feux de forêt et aux perturbations climatiques.

«Il faut changer notre façon de travailler», a expliqué le maire Guy Lafrenière en soulignant ce qu’ont répété plusieurs biologistes au cours des derniers mois.

«Il faut planter plus de feuillus, car les feuillus, ils ne brûlent presque pas.»

Il a expliqué que le défi consiste à trouver le juste milieu entre la plantation de conifères utilisés par l’industrie et de feuillus qui vont permettre à la forêt d’être plus résiliente aux feux de forêt et autres aléas climatiques.

«Le feuillu peut agir comme un coupe-feu, donc on peut replanter des résineux, mais il faut aussi planter des bandes de feuillus alentour», a indiqué Guy Lafrenière en ajoutant que «toutes les compagnies avec lesquelles on parle sont maintenant conscientes qu’il faut laisser des bandes de feuillus».

Diversifier les forêts, planter au Nord des espèces d’arbres qui autrefois poussaient seulement au Sud, définir des stratégies d’adaptation propres à chaque région et revoir les pratiques forestières actuelles font partie des recommandations faites l’automne dernier par le forestier en chef Louis Pelletier au gouvernement Legault.

«Nous pensons que notre aménagement forestier, tel que réalisé depuis plusieurs années au Québec, doit évoluer. Nous croyons que le statu quo de nos pratiques ne peut être envisagé face aux défis posés par l’adaptation du milieu forestier à de nouvelles conditions climatiques», a souligné le forestier en chef Louis Pelletier dans son rapport.

«Les changements climatiques, c’est rendu chez nous, il y a beaucoup plus de gens qui en parlent maintenant dans la communauté», a constaté Guy Lafrenière.

«C’est sûr qu’on s’attend moins à un autre gros feu avant longtemps parce que tous les arbres ont brûlé», mais «qu’est-ce que le changement climatique peut apporter en 2024?», a demandé le maire en soulignant l’importance d’avoir des plans de prévention.

«Nous, régionalement, on est en train de se préparer pour se faire un bilan parce que chaque communauté ou chaque ville est responsable de ses mesures d’urgence», a pour sa part souligné la mairesse de Chibougamau.

«Mais vous savez», a ajouté la mairesse Cyr, «quand vous évacuez une ville comme Chibougamau, ça a un impact sur Chapais ou encore sur Mistissini, alors il faut regarder de quelle façon on peut mieux s’outiller et s’organiser au niveau régional».

Une plus grande collaboration est donc nécessaire, selon la mairesse, qui salue la décision du gouvernement, annoncée au début décembre, de créer une direction régionale de la sécurité civile et de la sécurité incendie spécifiquement pour le Nord-du-Québec, afin d’améliorer la préparation et la résilience des communautés face aux événements climatiques extrêmes.

«On est sur un territoire sur lequel il n’y a pas beaucoup de population, mais c’est un immense territoire avec des enjeux très particuliers», alors «c’est une excellente nouvelle d’avoir une direction régionale, ça va aider les communautés à être plus agiles, plus rapides pour mettre en place les mesures d’urgence» et «développer une relation plus étroite avec l’ensemble des communautés».

La communication «est la clé»

Autant Guy Lafrenière que Manon Cyr sont fiers de la façon dont leurs administrations ont géré la crise à l’été 2023.

«Si j’avais à le refaire, moi je le ferais encore avec l’équipe que j’ai, avec ma gang. J’ai été une mairesse choyée», a indiqué Manon Cyr en louangeant son équipe qui avait «un bon plan d’urgence».

Au-delà des plans d’urgence pour faire face aux catastrophes climatiques, les deux élus soulignent que la communication est la clé pour passer à travers une telle épreuve.

«J’ai fait à peu près 300 entrevues au mois de juin et je ne le regrette vraiment pas, parce que mes gens, n’importe où qu’ils étaient au Québec, ils entendaient parler de la situation, ils étaient bien informés grâce aux médias, mais pour que les médias nous informent bien, il faut, nous, les informer», a expliqué Guy Lafrenière.

Il a ajouté «qu’aucun citoyen» ne l’appelait pendant la crise parce que «toutes les informations étaient dans les médias régionaux et provinciaux», ce qui permettait à son équipe de se concentrer sur les autres aspects de la gestion de crise.

«La communication, c’est vraiment l’essentiel, c’est la porte, c’est la seule porte de sortie» et «tous les jours, les citoyens savaient que je faisais un Facebook en direct à 11h, toujours à la même heure».

Ce rituel sur le réseau social permettait au maire de faire le point, de rappeler les consignes et d’apporter un peu de prévisibilité dans ces moments d’incertitude.

Le rendez-vous quotidien avec les citoyens sur le réseau social était toujours à la même heure et toujours diffusé à partir de l’hôtel de ville.

«Les Facebook en direct, je les faisais à Lebel-sur-Quévillon, ce sont les entrevues avec les médias, le soir, que je faisais à Senneterre», a tenu à préciser le maire, en ajoutant qu’il a plus tard informé les citoyens de ce subterfuge, et que personne ne lui en tient rigueur.

Au contraire, a-t-il raconté, «encore aujourd’hui, des gens m’arrêtent dans la rue pour me remercier de les avoir bien informés».

Note aux lecteurs: Dans une version précédente, La Presse Canadienne a erronément fait mention au premier paragraphe des premières évacuations de juin 2003. Il s’agit en réalité des évacuations de juin dernier.