Québec propose un encadrement juridique des conjoints de fait

Québec propose de créer un nouveau régime d’«union parentale» et d’encadrer les droits et obligations des conjoints de fait avec enfants, un changement fort attendu qui est globalement bien accueilli.

Mercredi, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déposé à l’Assemblée nationale le projet de loi 56 modifiant le Code civil. Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre d’une vaste réforme du droit de la famille.

En conférence de presse, M. Jolin-Barrette a expliqué donner suite à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Éric c. Lola, qui portait sur les couples en union libre et qui avait fait grand bruit dans les années 2010.

Il a souligné que la vaste majorité des enfants au Québec (65 %) naissent désormais hors mariage, et que le gouvernement se devait de mieux les protéger advenant une séparation de leurs parents.

«Ce nouveau contexte social commande une évolution de notre droit, car outre certaines avancées, (…) force est de constater qu’un fossé s’est creusé entre la réalité conjugale des Québécois et le régime juridique en vigueur», a déclaré M. Jolin-Barrette.

Union parentale

Son projet de loi 56 propose donc d’introduire un nouveau régime d’«union parentale» qui s’appliquerait automatiquement aux conjoints de fait qui auront des enfants après le 30 juin 2025.

La formation de cette «union parentale» entraînerait la constitution d’un patrimoine familial, qui inclurait la résidence familiale, les meubles de la résidence ainsi que les véhicules automobiles utilisés pour les déplacements de la famille. 

À noter qu’un couple pourrait décider, suivant une entente commune, de se soustraire par acte notarié du patrimoine d’union familiale.

«Au Québec, l’autonomie décisionnelle est au coeur de notre droit civil. Il importe que les gens continuent d’avoir le choix et qu’ils soient libres de décider pour eux-mêmes», a expliqué M. Jolin-Barrette.

Il précise que le régime ne s’appliquerait aux familles recomposées qu’après la naissance d’un enfant en commun. 

Dans tous les cas, la mesure n’est pas rétroactive: les conjoints de fait qui sont déjà parents pourraient choisir d’adhérer au régime en bénéficiant d’un «processus simplifié».

À la fin de l’union parentale, la valeur des biens du patrimoine est partagée en parts égales entre les conjoints.

Contrairement au mariage, la contribution d’un parent à un REER ou à un fonds de pension ne serait pas considérée dans l’appréciation du patrimoine établi dans le cadre d’une union parentale.

Protection sur la résidence familiale

Le projet de loi 56 propose aussi d’instaurer une mesure de protection sur la résidence familiale, afin d’éviter qu’un enfant soit forcé de quitter son nid familial à très brève échéance.

Ainsi, en cas de séparation, le tribunal pourrait attribuer un droit d’usage temporaire de la résidence familiale au conjoint qui obtient la garde des enfants. 

Cela signifie qu’un conjoint pourrait demeurer, pour un temps déterminé, dans la résidence familiale, même s’il n’en est pas le propriétaire, ce qui assurerait une «transition plus douce» pour les enfants, selon le ministre.

Toujours en cas de séparation, un conjoint en union parentale pourrait faire une demande de prestation compensatoire devant le tribunal, s’il estime s’être appauvri après avoir contribué à enrichir le patrimoine de l’autre conjoint.

Violence judiciaire

La pièce législative prévoit également une mesure visant à contrer la «violence judiciaire», c’est-à-dire la multiplication des procédures judiciaires qui se fait souvent au détriment des enfants.

M. Jolin-Barrette a déclaré avoir été mis au fait de divers cas «où un citoyen se sert du système de justice pour nuire à son ex-conjoint en multipliant les procédures judiciaires qui sont souvent onéreuses et bien évidemment très stressantes». 

«Trop souvent, ce sont les enfants qui se retrouvent au milieu des conflits et qui en subissent les impacts, ne sachant pas trop comment ils doivent se positionner face à leurs parents», a-t-il déploré.

«Nous donnons ainsi les outils aux tribunaux pour déceler ce type d’abus en matière de droit familial et les sanctionner», a-t-il ajouté.

Succession

Par ailleurs, en matière successorale, le projet de loi 56 permettrait au conjoint qui est en union parentale d’hériter de son conjoint décédé s’ils faisaient vie commune depuis plus d’un an.

À l’heure actuelle, si un conjoint de fait décède sans testament, 100 % de son héritage va à ses enfants. 

Le projet de loi propose qu’en l’absence de testament, l’héritage d’un conjoint en union parentale soit réparti ainsi: un tiers pour le conjoint survivant et deux tiers pour les enfants, comme cela s’applique pour le mariage.

«Cette réforme propose une solution équilibrée, a déclaré M. Jolin-Barrette. Il est hors de question de marier les gens de force au Québec. La réforme met ainsi en place les protections nécessaires pour les enfants, (…) tout en maintenant le libre choix pour les couples qui souhaitent convenir d’une entente qui leur est propre.»

3e jalon

Le projet de loi 56 représente le troisième jalon de la réforme caquiste du droit de la famille, après le projet de loi 2 (filiation) adopté en 2022 et le projet de loi 12 (mères porteuses) adopté l’année suivante. 

Cette réforme est la plus importante depuis celle du ministre péquiste Marc-André Bédard, en 1980.

«Nous tenons à souligner le courage et la détermination du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, d’avoir enfin mis à jour notre droit de la famille», a réagi mercredi le président de l’Association professionnelle des notaires du Québec, Kevin Houle.

«Chaque annonce qui vise l’actualisation d’éléments liés au droit familial pour adapter celui-ci aux réalités actuelles des Québécois ne peut qu’être bénéfique», a renchéri Hélène Potvin, présidente de la Chambre des notaires du Québec.

Depuis 40 ans au Québec, le pourcentage de couples en union libre est passé de 8 % à 42 %, selon Statistique Canada.

Mercredi, Québec solidaire (QS) a également déclaré accueillir «favorablement plusieurs concepts et mesures mis de l’avant dans ce projet de loi, particulièrement en ce qui concerne la protection des femmes et des enfants». 

En 2015, le gouvernement libéral de Philippe Couillard avait pris connaissance du rapport consultatif du droit de la famille du professeur Alain Roy, mais n’avait pas légiféré sur ces questions jugées délicates.