Projet de loi défait pour la décriminalisation nationale de possession de drogues

OTTAWA — La vaste majorité des libéraux de Justin Trudeau ont voté mercredi contre un projet de loi visant à décriminaliser au niveau national la possession de petites quantités de drogues, le premier ministre plaidant qu’il faut procéder par étapes plutôt que par un coup de «baguette magique» pancanadien.

La veille, le gouvernement fédéral annonçait qu’il donnait son aval pour que la Colombie-Britannique puisse cesser d’imposer des infractions criminelles pour la possession de quantités de drogues de 2,5 grammes ou moins.

Une motion pour faire cheminer une initiative similaire, mais à portée nationale – soit le projet de loi C-216 proposé par le Nouveau Parti démocratique (NPD) -, a été battue.

Seulement 71 députés ont voté en faveur et 248 ont voté contre. Les néo-démocrates ont eu l’appui de rares libéraux – comme la députée de la circonscription montréalaise d’Hochelaga, Soraya Martinez Ferrada – ainsi que de l’ensemble des bloquistes et des verts. Cela a été insuffisant pour faire survivre le projet de loi C-216, qui s’est ainsi buté à l’opposition du reste de l’équipe Trudeau ainsi que des conservateurs.

Le premier ministre a soutenu, mercredi matin, qu’il préconise une approche graduelle pour donner suite à chacune des demandes de décriminalisation pouvant survenir et visant à répondre à la crise des surdoses par opioïdes. 

«Ça prend des appuis. Ça prend une approche complexe et (maintenant qu’on aura) ça en Colombie-Britannique, on est prêts à regarder ailleurs dans d’autres juridictions qui veulent le faire», a-t-il dit en mêlée de presse.

«On ne peut pas tout simplement secouer une baguette magique et dire ‘’OK, voilà, le problème est réglé’’. Non! On sait que ça prend des appuis, des investissements du provincial, des systèmes de santé (prêts et) une approche intégrée», a-t-il ajouté.

La Ville de Montréal s’est dite en faveur de la décriminalisation, en janvier 2021, par le biais d’une motion adoptée en conseil municipal.  Dans une déclaration transmise par courriel, le cabinet de la mairesse, Valérie Plante, a réitéré cette position.

«Quand on traite les enjeux de consommation dans une perspective de santé publique, on crée un climat de confiance qui favorise les interventions rapides et qui réduit les risques pour les consommateurs», peut-on y lire.

Le gouvernement de François Legault a toutefois signalé mercredi que la décriminalisation n’était pas dans ses cartons.

«Du sang sur les mains»

Déjà, mardi, le NPD pressait les libéraux de voter pour son projet de loi C-216 afin de répondre à la crise des surdoses aux opioïdes, qui, a plaidé le parti, est d’envergure nationale. Selon les plus récentes données partagées par le fédéral, environ 27 000 Canadiens ont perdu la vie pour cette raison entre janvier 2016 et septembre 2021.

«Comment allez-vous pouvoir dormir la nuit?», avait lancé Gord Johns, porte-parole néo-démocrate en réduction des méfaits et parrain du projet de loi, aux libéraux qui s’apprêtaient à voter contre.

Il en a rajouté une couche, mercredi, en soutenant que ceux-ci allaient avoir «du sang sur les mains», ce que son chef Jagmeet Singh a aussi affirmé à ses côtés.

Le leader du NPD estime que l’approche graduelle préconisée par M. Trudeau n’a «aucun sens».

«On a décidé d’avoir des lois fédérales sur le Code criminel. C’est une loi fédérale, ça veut dire qu’on ne doit pas avoir des lois différentes dans les provinces ou les territoires différents, particulièrement sur cette question de possession personnelle des drogues», a-t-il dit.

En Chambre, le premier ministre Trudeau a rétorqué que l’approche du NPD n’était «pas responsable». «(Il faut) travailler avec les partenaires pour avancer comme on est en train de le faire en Colombie-Britannique. On est ouverts à le faire ailleurs, mais ça prend des partenariats pour le faire.»

Cet argumentaire a fait bondir le directeur général de l’organisme montréalais Dopamine, Martin Pagé.

«De penser qu’il n’y a pas de réseautage est ne pas connaître la réalité ici et selon moi c’est un manque de courage», a-t-il réagi en entrevue avec La Presse Canadienne.

M. Pagé a mentionné que des liens sont déjà en place entre le milieu communautaire et des intervenants en santé publique, ajoutant qu’il sent une réelle ouverture du côté des forces de l’ordre.

«Les policiers sur la rue, comme beaucoup d’acteurs, se sentent impuissants en ce moment. Je pense qu’il y a un momentum pour aller de l’avant. Je ne comprends pas pourquoi on résiste.»

Pour l’organisation établie dans le quartier Hochelaga qui accompagne des consommateurs de drogues, le dénouement de mercredi est interprété comme un maintien du statu quo et une déconnexion des décideurs politiques face à la réalité du terrain.

La représentante pour le Québec de l’association Moms Stop the Harm (MSTH), Isabelle Fortier, estime que l’approche par étapes mise de l’avant par M. Trudeau ne répond pas à l’urgence de la situation.

«Si on attend de voir comment ça se passe en Colombie-Britannique, (ça nous amène) dans peut-être trois, quatre, cinq ans», a-t-elle affirmé.

«On ne peut pas attendre cinq ans. C’est maintenant que ça se passe. Le nombre de décès a entre autres doublé en dedans de deux ans et demi», a insisté la représentante du regroupement incluant des proches de personnes décédées de surdoses.

À son avis, le fédéral doit aller de l’avant avec des «lignes directrices claires» et «le reste suivra». Mme Fortier a ajouté que la décriminalisation permettrait d’ouvrir la voie à d’autres actions significatives pour endiguer la crise.

«C’est peu l’ouverture sur ce qui viendra par la suite, c’est-à-dire l’accès à des drogues qui seront sécuritaires, la diversification des accès aux soins et donc pas juste les traitements en abstinence, mais toutes les approches de réduction des méfaits et de traitement qui seraient subventionnées en conséquence», a-t-elle résumé.

Tant MSTH que Dopamine ont été consultés par le NPD quand il élaborait son projet de loi C-216.