Prévost accuse Énergir de vouloir empêcher les Villes d’agir pour l’environnement

MONTRÉAL — La municipalité de Prévost, dans les Laurentides, fait l’objet d’une démarche juridique de la part de la société Énergir qui vise, dit-elle, à contrer son règlement sur la décarbonation des bâtiments et «s’attaquer à la capacité des Villes d’agir en matière environnementale».

Le maire de Prévost, une municipalité située à quelques kilomètres de Saint-Jérôme, «est très, très déçu» du comportement d’Énergir, qui s’oppose à un «règlement qui vise à réduire les gaz à effet de serre».

«J’aurais le goût d’employer un autre mot, mais, mettons , que pour rester poli,  j’ai trouvé ça très, très cavalier», a indiqué Paul Germain à La Presse Canadienne en ajoutant que «c’est David contre Goliath».

Le règlement 831 de la Ville de Prévost, adopté il y a quelques semaines, prohibera à compter de la fin du mois prochain certaines utilisations du gaz dans les nouveaux bâtiments résidentiels et institutionnels à Prévost, à l’exception des cuisinières au gaz et des BBQ.

L’objectif est de réduire les gaz à effet de serre.

Mais Énergir, qui distribue 97% du gaz naturel consommé au Québec, a déposé «une demande introductive d’instance qui dit que notre règlement est déraisonnable, discriminatoire et qu’on n’a pas le droit de légiférer», a expliqué le maire Germain.

«Pourtant, notre règlement est en ligne parfaite avec les objectifs gouvernementaux de réduire les GES de cinquante pour cent dans les bâtiments pour 2030, notre règlement est solide au niveau de nos citoyens, il est solide au niveau de l’environnement et il est solide au niveau juridique», a expliqué Paul Germain.

Un règlement «inconciliable avec la loi»

Dans sa requête déposée à la Cour supérieure du Québec, Énergir allègue que le règlement de la Ville de Prévost «est inconciliable avec plusieurs lois et règlements adoptés par le gouvernement du Québec», et que «le pouvoir des municipalités d’adopter des règlements en environnement doit être circonscrit et assujetti à une logique législative cohérente de la province».

Énergir soutient aussi que «la Ville n’avait pas la compétence légale lui permettant, par le biais de sa réglementation municipale, de prohiber une source d’énergie» et demande que le règlement 831 «soit déclaré nul, invalide, inopérant».

Le distributeur de gaz fait valoir que le Plan pour une économie verte 2030 du gouvernement prévoit que «la conversion partielle du gaz naturel vers l’électricité devra s’inscrire dans une approche globale et équilibrée, fondée sur une complémentarité optimale des réseaux électriques et gaziers». En d’autres mots, la transition énergétique inclut l’utilisation du gaz naturel, notamment dans les bâtiments commerciaux et institutionnels.

Dans un courriel envoyé aux médias, Énergir soutient également que le règlement 831 restreint le choix des citoyens.

«En privilégiant uniquement l’électricité au détriment des autres solutions d’énergie renouvelable, comme le GNR et la biénergie-GNR, et ce, tant dans le nouveau bâtiment que l’existant, la Ville de Prévost restreint non seulement les clients d’Énergir, mais ses citoyens et citoyennes, dans le choix d’opter pour des solutions énergétiques qui sont tout aussi pertinentes au niveau environnemental», affirme la société.

Le maire craint un précédent juridique

Énergir est détenue par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) et le Fonds de solidarité FTQ.

Le maire de Prévost a indiqué qu’il ne «comprend pas» pourquoi Énergir, qui appartient en partie aux Québécois, s’attaque «à la capacité des Villes d’agir en matière environnementale».

Selon le maire Germain, Énergir veut créer un précédent juridique avec la Ville de Prévost, car de nombreuses municipalités et Villes l’ont consultée depuis avril et s’apprêtent à adopter des mesures similaires.

Paul Germain a ajouté que depuis que la réglementation a été présentée en avril dernier, elle a fait l’objet d’un travail de collaboration, y compris avec des représentants d’Énergir.

«Pourquoi ils ne nous ont pas envoyé une mise en demeure avant ou qu’ils ne nous ont pas envoyé une lettre plus formelle ou tout simplement nous appeler?  C’est vraiment très très décevant.»

Au nom des membres du conseil municipal, Paul Germain déplore que le géant gazier s’en prenne ainsi à une municipalité d’un peu plus de 13 000 habitants. 

Prévost a établi, il y a deux ans, une cible de réduction de 50 % des gaz à effet de serre (GES) par rapport à ceux de 2018. 

Des groupes environnementaux réagissent

Plusieurs organisations ont rapidement réagi à la sortie du maire de Prévost.

« Énergir ne se comporte pas comme un acteur de changement, mais comme un simple distributeur de gaz fossile qui n’hésite pas à entraver les initiatives municipales et à nuire aux efforts collectifs de lutte contre les changements climatiques », a dénoncé la Fondation David Suzuki dans un communiqué également signé par l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME), la Coalition Sortons la Caisse du carbone et Greenpeace Canada, notamment.

Selon eux, «le recours intenté contre Prévost prouve qu’Énergir ne veut pas vraiment que les municipalités mettent en œuvre la transition énergétique».

La Fondation David Suzuki et d’autres groupes environnementaux demandent que la CDPQ et le Fonds de solidarité FTQ «s’engagent dès maintenant à intervenir auprès d’Énergir pour qu’elle abandonne cette poursuite et réoriente son modèle d’affaires vers une décarbonation profonde de l’économie».

Énergir soutient qu’elle «ne remet pas en doute le rôle des villes dans la transition énergétique du Québec», mais que dans ce cas précis, «elle est d’avis que la Ville de Prévost ne peut pas adopter un règlement qui n’est pas aligné avec les actions et initiatives du gouvernement provincial».