Ottawa ne mesure pas ses progrès vers son objectif global «zéro déchet de plastique»

OTTAWA — Le commissaire à l’environnement du Canada conclut que la plupart des programmes fédéraux visant à réduire les déchets plastiques fonctionnent, mais le gouvernement ne mesure pas ses progrès vers son objectif global de «zéro déchet de plastique» d’ici 2030.

Le gouvernement libéral a lancé en 2019 une initiative afin de créer une économie circulaire pour les plastiques d’ici 2030, ce qui signifie que rien ne se retrouve dans les dépotoirs. 

Dans un audit de performance publié mardi, le commissaire à l’environnement, Jerry V. DeMarco, constate que les efforts de réduction des déchets dans les principaux ministères fédéraux fonctionnaient généralement bien. 

Le commissaire cite notamment des efforts du ministère des Pêches et des Océans, qui atteint ses objectifs visant à retirer de l’eau les engins de pêche perdus ou abandonnés – les «engins fantômes». 

Les groupes environnementaux estiment que jusqu’aux trois quarts du plastique présent dans les océans du monde proviennent de filets et d’équipements de pêche abandonnés ou perdus.

M. DeMarco souligne toutefois que le gouvernement ne dispose pas d’objectifs clairs ni de systèmes de surveillance afin de savoir s’il est sur la bonne voie pour atteindre l’objectif global de «zéro déchet de plastique» d’ici 2030.

«Tant que ces travaux ne seront pas achevés, le ministère [de l’Environnement] ignorera s’il est en voie d’atteindre l’objectif», lit-on dans le rapport d’audit.

M. DeMarco soutient que ce suivi est particulièrement important, car pour atteindre l’objectif, il faudra une coordination de la part des provinces et des territoires, des municipalités et du secteur privé.

Le rapport le plus récent de Statistique Canada sur l’endroit où finit le plastique a été publié en mars dernier, mais avec des données de 2020. «Si ce délai n’est pas raccourci, l’information sur les déchets de plastique en 2030 ne sera disponible qu’en 2034», souligne ainsi le commissaire, qui recommande à Statistique Canada de prioriser la cueillette de ces données. 

Le commissaire estime par ailleurs qu’un futur registre public fédéral des plastiques contribuerait à combler le manque de données à ce sujet. Ce programme, annoncé la semaine dernière par le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, en marge des négociations des Nations unies en vue d’un traité international sur les plastiques, obligerait les producteurs de plastique à rendre compte de ce qu’ils fabriquent et de la destination de leurs produits.

Environnement et Changement climatique Canada a accepté une série de recommandations du commissaire, notamment l’élaboration d’un cadre de données d’ici mars 2025 pour mesurer les progrès vers l’objectif «zéro déchet de plastique» de 2030.

Innovation et Sciences

Le commissaire a également publié mardi un rapport d’audit de performance sur l’initiative «Accélérateur net zéro» du Fonds stratégique pour l’innovation, qui encourage les entreprises canadiennes à décarboner leurs activités et à contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques du Canada pour 2030 et 2050. 

Ce fonds de 8 milliards $ du ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique comporte «d’importantes lacunes», estime le commissaire, car ce ministère n’a «pas assuré le suivi de l’optimisation globale des ressources» du programme en matière de réduction réelle des émissions.

Le programme a alloué un financement à 17 projets, mais seulement cinq d’entre eux comprenaient un engagement signé à réduire une quantité spécifique d’émissions.

L’audit a calculé le coût des réductions pour ces cinq projets à 143 $ la tonne, mais les 12 projets restants ont été estimés à 523 $ la tonne, parce qu’ils n’avaient pas d’objectifs précis. Au total, le fonds n’a permis de réduire que six mégatonnes d’émissions de gaz à effet de serre.

«Pour mettre les choses en perspective: six mégatonnes représentent moins de 1 % des émissions totales au Canada. Ils doivent donc vraiment attirer les grands émetteurs pour en avoir plus pour leur argent», a déclaré M. DeMarco mardi.

Il était aussi difficile de soumettre sa candidature: les entreprises consacraient en moyenne 407 heures pour compléter la candidature et 20 mois pour terminer le processus complet.

Sur les 55 grands émetteurs du pays, seuls 15 ont demandé un financement – et seulement deux ont accepté.

Toujours pas de stratégie à l’Agriculture

Dans un autre rapport distinct, aussi publié mardi, le commissaire DeMarco a constaté que le ministère de l’Agriculture n’avait aucune stratégie pour contribuer comme il l’avait prévu à la réduction des gaz à effet de serre, afin d’atteindre les objectifs climatiques du Canada pour 2030 ou 2050, quatre ans après qu’on lui eut demandé d’en élaborer une.

Le gouvernement fédéral a réclamé une telle stratégie dans l’énoncé économique de l’automne 2020, puis à nouveau en 2021, selon l’audit du commissaire DeMarco. 

«Ce ne serait pas tellement un problème si nous voyions que les programmes progressaient déjà en l’absence d’une stratégie», a souligné M. DeMarco mardi.

Sans stratégie en place, le ministère a entrepris «des travaux scientifiques approfondis», qui ont «contribué à cerner des pratiques prometteuses d’atténuation des gaz à effet de serre qui aideraient le secteur».

Le secteur agricole représentait environ 10 % des émissions totales de gaz à effet de serre du pays en 2021.

Le plan fédéral visant à atteindre les objectifs de réduction des émissions d’ici 2030 définit une voie à suivre secteur par secteur. L’audit du commissaire a noté qu’à travers ses différents programmes, le ministère de l’Agriculture estime que d’ici 2030, le secteur réduira ses émissions de 11,21 millions de tonnes, soit moins que la cible de 13 millions de tonnes qu’il avait estimée en 2022.

L’une des raisons de ce changement est que le ministère a initialement inclus les estimations de réduction des émissions liées à la plantation d’arbres sur les terres agricoles, mais les a ensuite supprimées.

Jusqu’à présent, a déclaré M. DeMarco, le secteur agricole a réalisé moins d’une mégatonne de réduction des émissions, soit environ 2 % de son objectif.

L’audit de performance a porté sur trois programmes visant à réduire les émissions de méthane. «Nous avons constaté que pour les trois programmes examinés, les réductions des émissions de gaz à effet de serre attendues des projets qui contribueraient à la cible de réduction des émissions de méthane du Canada n’avaient pas encore été quantifiées», indique le rapport. L’objectif du Canada est de réduire ces émissions de 30 % en dessous des niveaux de 2022 d’ici 2030.

M. DeMarco demande au ministère d’établir une stratégie agricole durable qui comprend des résultats mesurables et des rapports sur le coût des programmes d’atténuation.

Adam van Koeverden, secrétaire parlementaire du ministre de l’Environnement, a déclaré que des travaux sur une stratégie étaient en cours. «Notre gouvernement est poussé dans la bonne direction vers plus d’action et un travail plus efficace», a-t-il déclaré.

Le gouvernement fédéral a indiqué qu’il acceptait les recommandations du commissaire.