Noyade d’un pompier de Montréal: plusieurs lacunes, selon la CNESST

MONTRÉAL — Le bateau sous lequel le pompier Pierre Lacroix s’est retrouvé coincé et s’est noyé, en octobre dernier, n’aurait jamais dû se rendre aussi loin dans le secteur des rapides de Lachine lors d’un sauvetage nautique, à Montréal, en raison des «limitations» de l’embarcation. 

C’est une des conclusions à laquelle arrive l’enquête de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) pour expliquer l’accident ayant coûté la vie au pompier Lacroix.  

Les deux inspecteurs ont rendu public jeudi matin leur rapport qui identifie trois principales causes derrière le renversement de l’embarcation du Service de sécurité incendie de Montréal (SIM), nommée le 1864, au moment où la victime et trois de ses collègues tentaient de venir en aide à deux plaisanciers en détresse.

Le chavirement est une «combinaison» de plusieurs facteurs lors d’une manœuvre d’approche auprès de l’embarcation à la dérive. Le bateau de modèle Hammerhead s’est retrouvé dans un creux de vague et une grande quantité d’eau a envahi la proue. Ces éléments ont provoqué le renversement, jumelés au positionnement des pompiers à l’avant du bateau, d’après les deux enquêteurs de la CNESST. 

Ils notent aussi que le moteur à turbine n’est pas conçu pour une manœuvre de recul et que la stabilité du bateau n’a jamais été testée pour le remorquage.

Un reportage de l’émission Enquête à Radio-Canada, diffusé jeudi, a révélé certains problèmes avec ce type de bateau du côté du SIM. Celui-ci a décidé récemment de retirer ses trois Hammerhead de manière préventive, après avoir mis la main sur des informations de 2008 soulevant des doutes sur ces embarcations. 

La CNESST fait état que cette même série d’embarcations du SIM a été impliquée dans des chavirements en 2009 et 2010. Le dernier incident a déclenché une enquête interne du SIM. Celle-ci a conclu à une dizaine de recommandations qui n’ont pas été «pérennes dans le temps», évoque l’inspecteur Éric Dupont. 

Pour la CNESST, la conception du 1864 n’est pas le seul aspect à pointer du doigt. «Le bateau est un peu l’arbre qui cache le reste de la forêt, dans le sens qu’effectivement ce bateau à ses limitations, ses défis», a mentionné l’inspecteur Danny Lapointe, en conférence de presse. 

Mais il estime que l’un des éléments les plus importants est que les «pompiers n’auraient jamais dû se retrouver aussi loin, aussi profondément» dans la zone interdite de navigation dans les rapides de Lachine, établie par le SIM en 2010. 

«Le Hammerhead n’a pas été certifié pour aller à cet endroit-là», a ajouté M. Lapointe,décrivant l’équipage comme étant expérimenté. 

Le rapport d’enquête indique que les pompiers ont été confrontés à un manque d’informations le 17 octobre 2021. Le système de navigation GPS n’a pas été activé pour éviter son effet éblouissant en soirée. Même si l’équipage avait eu recours au GPS, celui-ci ne contenait toutefois pas la zone interdite, précise la CNESST.  

Le poste de commandement riverain n’avait pas non plus de système de localisation pour guider les pompiers et les prévenir de la présence de la zone non balisée. 

La CNESST note également une formation déficiente de l’équipage et des intervenants du poste de commandement riverain, ce qui les a exposés à un danger de noyade. 

L’enquête ne s’est pas penchée à savoir si un autre type d’embarcation aurait fait une différence dans cet accident. 

Montréal mise à l’amende

La CNESST a annoncé jeudi maintenir l’interdiction de toute navigation, peu importe l’embarcation utilisée par les pompiers, dans la zone non balisée des rapides de Lachine, à la suite de la tragédie. Elle sera en vigueur tant et aussi longtemps que le SIM n’aura pas démontré qu’il peut assurer la sécurité de ses travailleurs. 

La CNESST a aussi signifié un constat d’infraction à la Ville de Montréal pour avoir compromis la sécurité de travailleurs. Le montant de l’amende varie de 17 680 $ à 70 727 $ pour une première offense. 

La Ville de Montréal a 30 jours pour répondre au constat d’infraction. 

En accord avec les conclusions de l’enquête, l’Association des pompiers de Montréal reproche l’absence de «recommandations fermes sur les correctifs à apporter». 

«Rien ne risque donc de changer en termes de sécurité de nos membres à brève échéance», a affirmé le vice-président, Richard  Lafortune, par communiqué, mentionnant que le syndicat avait réclamé à plusieurs reprises le retrait des Hammerhead. 

Le responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville, Alain Vaillancourt, a assuré que des changements ont déjà été apportés depuis un an. 

«Dès l’événement, il y a des choses qui ont été mises en place par rapport aux méthodes d’entraînement. Le SIM a déjà agi sur certains enjeux», a déclaré M. Vaillancourt en point de presse.

L’élu précise que la Ville a fait l’achat de 12 nouveaux bateaux de haute performance pour remplacer les Hammerhead.

Il veut également attendre les recommandations de l’enquête publique de la coroner Me Géhane Kamel qui doit débuter le 21 novembre, avant d’opter pour d’autres mesures.

L’opposition officielle à l’hôtel de ville de Montréal a déploré le «très peu de détails» sur les améliorations qui seront apportées par l’administration de Valérie Plante. 

Cette dépêche a été rédigée avec l’aide financière des Bourses de Meta et de La Presse Canadienne pour les nouvelles.