«Maintenant le temps» d’aller vers des élections, dit le nouvel ambassadeur en Haïti

OTTAWA — Le nouvel ambassadeur du Canada en Haïti, André François Giroux, sent un vent favorable pour que les différentes forces en présence dans ce pays en crise parviennent à un terrain d’entente qui jettera les bases d’élections libres et démocratiques.

En entrevue avec La Presse Canadienne depuis la Perle des Antilles, il insiste pour dire que le gouvernement de facto dirigé par Ariel Henry doit, selon le Canada, saisir l’occasion de la future mission multinationale dirigée par le Kenya.

«C’est maintenant le temps de retrousser ses manches (et) de s’asseoir, puis de commencer à parler vrai», lance-t-il en français au cours d’un entretien virtuel organisé dans les deux langues officielles du Canada.

Celui qui a travaillé en 1999 sur le dossier haïtien lorsqu’il était affecté auprès des Nations unies, à New York, soutient que «les étoiles commencent à s’aligner» pour l’atteinte d’un consensus nécessaire à l’enclenchement d’un processus électoral.

Il se montre encouragé par le passage en Haïti, cette semaine, d’une délégation ayant pour but de faciliter le dialogue entre les différentes parties. Plus précisément, il s’agit du Groupe de personnalités éminentes (GPE) de la Communauté des Caraïbes (Caricom).

«Je crois qu’ils ont fait bouger les choses», dit M. Giroux en anglais.

Face à une crise d’insécurité, une flambée de violence par les gangs et des tensions politiques endémiques couplées à de l’insécurité alimentaire flagrante, le Canada appelle à l’atteinte d’un consensus. Le but – défendu par Ottawa sur toutes les tribunes depuis plus d’un an: favoriser des solutions développées par les Haïtiens, pour les Haïtiens.

«De notre point de vue, quand la société haïtienne va nous renvoyer le « feedback »que ‘’Oui, effectivement, on a ici les masses critiques qui sont nécessaires pour vraiment aller de l’avant’’, je pense que ça va nous suffire», soutient l’ambassadeur en français.

La légitimité du leadership d’Ariel Henry est contestée par bien des Haïtiens, souligne le député libéral Emmanuel Dubourg, mentionnant que le premier ministre d’Haïti n’a pas été élu, de même qu’aucun député ou sénateur.

Les dernières élections en Haïti remontent à avant la pandémie de COVID-19. L’ex-président Jovenel Moïse a été assassiné en juillet 2021 et le premier ministre Henry s’est ensuite présenté comme leader.

«On comprend que les gens nous disent que l’actuel premier ministre est illégitime. D’accord, OK, mais ce n’est pas à nous, Canadiens, de dire qui devrait le remplacer pendant quelle période ou quoi. Non!», dit le député Dubourg, un Haïtien d’origine qui représente la circonscription montréalaise de Bourassa à la Chambre des communes.

Selon lui, le Canada n’appuie pas «inconditionnellement» Ariel Henry. «C’est l’interlocuteur qui est là pour le moment. Donc nous travaillons avec Ariel Henry de façon à trouver ce consensus-là, mais si les Haïtiens décidaient autrement, nous allons travailler avec les personnes ou bien la personne que les Haïtiens auraient choisie», poursuit-il.

Part belle à la Police nationale d’Haïti

Ottawa n’a toujours pas annoncé quelle sera sa contribution à la mission multinationale à être dirigée par le Kenya, mais des responsables canadiens ont fait savoir, le mois dernier, que la Gendarmerie royale du Canada enverra probablement des policiers.

Une grande part des centaines de millions de dollars promis par le Canada, depuis l’an dernier, en vue d’endiguer la crise haïtienne est réservée à la Police nationale d’Haïti (PNH).

L’ambassadeur Giroux affirme que la PNH n’a pas été conçue, initialement, pour faire face à une présence aussi accrue de gangs armés. Au fil de ses années d’existence, il souligne que le mandat de celle-ci s’est aussi complexifié en raison de difficultés de rétention de personnel et d’équipements souvent incompatibles les uns avec les autres.

«Nous ne devrions pas écarter le modèle» de la PNH, croit-il, plaidant que le Canada assure désormais une meilleure coordination basée sur une analyse rigoureuse des besoins sur le terrain.

De l’avis du député Dubourg, il faudra que des vérifications soient menées, en cours de route, auprès des policiers.

«Les gens nous disent qu’il y en a, de ces policiers-là, qui font partie des gangs, à d’autres moments de la journée ou le soir, donc on se sent un peu tiraillé», laisse-t-il tomber.

S’il mise sur le financement de la PNH, le Canada insiste surtout sur la tenue d’élections afin de mener à une sortie de crise qui serait durable.

Le député souligne qu’Ottawa est «parfaitement conscient qu’il ne peut pas y avoir d’élections demain matin».

«D’abord, il faut régler l’aspect sécurité si on veut que les gens aillent voter. (…) Or, pour l’instant, les gangs criminels font la pluie et le beau temps en Haïti.»

Le soutien du Québec

Le Québécois, qui a aussi été député à l’Assemblée nationale sous le gouvernement libéral de Jean Charest, mentionne les liens particuliers qui unissent la province à la Perle des Antilles.

La vaste majorité des membres de la diaspora haïtienne canadienne sont établis au Québec, a-t-il relevé, et la province les a accueillis, historiquement, à travers des mesures d’immigration qui leur ont été favorables.

Or, plus récemment, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’a pas caché sa déception que la province décide de passer son tour pour participer à une nouvelle initiative promise par Ottawa. Le programme qui sera bientôt lancé vise à faire venir 15 000 migrants de l’Hémisphère, dont des Haïtiens.

M. Dubourg a toujours espoir que Québec finisse par se rallier à l’initiative fédérale. «Nous continuons à travailler avec eux par les contacts que j’ai, tout ça. Nous n’avons pas lâché prise», dit l’élu.

La ministre québécoise des Relations internationales et de la Francophonie, Martine Biron, a déclaré, par écrit, que «le Québec a fait sa part, dans le respect de ses ressources».

Cette dernière a annoncé récemment que le gouvernement de François Legault prévoit 4,8 millions $ sur trois ans pour venir en aide à Haïti. «Le plan est un appui exceptionnel et ciblé considérant l’aggravation de la situation dans ce pays. On estime que c’est un effort à la hauteur de nos moyens», a conclu Mme Biron dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne.

– Avec la collaboration de Dylan Robertson