L’ombudsman canadienne lance des enquêtes sur l’éthique de Nike et Dynasty Gold

OTTAWA — L’organisme de surveillance de l’éthique des entreprises d’Ottawa a annoncé l’ouverture d’une enquête sur une société d’extraction d’or et sur la filiale canadienne de Nike, concernant des allégations de recours au travail forcé de la minorité ouïghoure en Chine dans leurs chaînes d’approvisionnement

«Ce sont des problèmes très sérieux qui ont été portés à notre attention», a affirmé mardi à la presse Sheri Meyerhoffer, l’ombudsman canadienne de la responsabilité des entreprises (OCRE). 

«Les entreprises canadiennes sont censées respecter les normes canadiennes en matière de droits de l’homme et de protection de l’environnement lorsqu’elles travaillent à l’étranger.»

Les enquêtes sont les premières que son bureau a lancées depuis sa création par les libéraux en 2018, après des critiques soutenues de la part de militants, de députés et de Mme Meyerhoffer elle-même, selon lesquelles le gouvernement du premier ministre Justin Trudeau n’a pas donné à l’ombudsman suffisamment de pouvoirs pour obliger les entreprises à rendre des comptes.

Dans un rapport d’évaluation, Mme Meyerhoffer accuse Nike Canada Corp. de ne pas répondre suffisamment aux allégations selon lesquelles la société s’approvisionne en produits fabriqués par des esclaves.

Son rapport indique que Nike a rejeté la médiation initiale, arguant que sa société mère mondiale avait déjà réfuté les allégations de l’Australian Strategic Policy Institute, une branche du gouvernement australien, concernant des fournisseurs spécifiques avec lesquels Nike affirme ne plus avoir de liens. 

Mme Meyerhoffer a déclaré que Nike n’avait pas éliminé la possibilité d’acheter des produits par l’intermédiaire d’un fournisseur au Vietnam qui pourrait utiliser du coton provenant en aval de travail forcé dans la région chinoise du Xinjiang.

«La nature complexe des chaînes d’approvisionnement en vêtements peut justifier une enquête», affirme le rapport de Mme Meyerhoffer, en particulier parce que Nike «n’a fourni que peu de détails sur la nature et la portée de sa diligence raisonnable en matière de droits de la personne, notamment sur l’utilisation ou non de la technologie pour déterminer l’origine des fibres» utilisées dans ses produits.

Dans une mine d’or

L’autre rapport de Mme Meyerhoffer accuse Dynasty Gold Corp. d’avoir autorisé le travail forcé dans sa mine d’or située dans le district de Hatu, à la frontière du Kazakhstan, à proximité de ce que la Chine a appelé des centres de «détention» ou de «rééducation».

La Chine insiste sur le fait que ces centres sont destinés à éliminer la radicalisation islamique après plusieurs attentats meurtriers commis dans le pays. 

Mais les Nations unies ont estimé, à la mi-2022, que la Chine avait commis de «graves violations des droits de l’homme» à l’encontre des Ouïghours et d’autres communautés musulmanes, qui «pourraient constituer des crimes internationaux, en particulier des crimes contre l’humanité».

Le rapport de Mme Meyerhoffer indique qu’après des mois de tentatives de son bureau pour contacter une personne de la société établie à Vancouver, celle-ci a fini par faire valoir qu’elle n’avait pas le contrôle sur cette mine.

Mais Mme Meyerhoffer a noté que cette affirmation est contredite par des déclarations figurant dans des documents d’entreprise et des communiqués de presse.

L’entreprise «semble avoir délibérément évité de participer et de coopérer à la procédure de résolution des litiges de l’OCRE sans fournir d’explication», peut-on lire dans le rapport.

Les deux enquêtes font suite à des plaintes déposées par une coalition de deux douzaines de groupes de défense des droits de l’homme, qui, selon Mme Meyerhoffer, sont ouverts à une résolution qui n’impliquerait pas que les entreprises soient nommées publiquement.

La Presse Canadienne a contacté les deux entreprises et l’ambassade de Chine à Ottawa pour obtenir des commentaires.

Autres affaires à venir

Mme Meyerhoffer a indiqué qu’elle prévoyait de publier 11 autres rapports dans les semaines à venir sur des affaires impliquant des Ouïghours.

La médiatrice évalue également depuis des mois s’il convient d’enquêter sur des violations présumées du droit à un salaire décent pour les travailleurs des usines de vêtements sous contrôle canadien au Bangladesh, et du droit de réunion pour les travailleurs du secteur de l’habillement au Honduras.

Les libéraux ont promis de créer le poste de médiateur lors de la campagne de 2015, en remplacement d’un poste que le gouvernement conservateur de Stephen Harper avait créé en 2009 et qui se limitait à conseiller le secteur de l’extraction et à surveiller ses politiques d’entreprise.

Ils ont promulgué le nouveau bureau en 2018, lui permettant d’enquêter sur les industries de l’habillement ainsi que sur les secteurs minier, pétrolier et gazier.

Mme Meyerhoffer, une avocate dont la carrière s’est concentrée sur le développement international et le secteur pétrolier de l’Alberta, a été nommée un an plus tard. Mais elle n’a commencé à accepter des plaintes qu’en 2021 et n’avait lancé aucune enquête formelle jusqu’à mardi.

Le bureau surveille le rôle de toute entité contrôlée directement ou indirectement par une entreprise canadienne, ce qui inclut les fournisseurs étrangers et les entrepreneurs qui ne travaillent que pour une entreprise établie au Canada.

Il a passé en revue des problématiques à l’étranger, comme une analyse de dix entreprises canadiennes de confection opérant à l’extérieur du pays. Il a constaté que peu d’entre elles suivaient suffisamment bien les chaînes d’approvisionnement pour détecter le travail des enfants, car nombre d’entre elles ne contrôlent leurs systèmes que dans les étapes qui suivent la production des matières premières.

Les pouvoirs de l’OCRE en débat

Le bureau est depuis longtemps confronté à un débat sur les pouvoirs dont Mme Meyerhoffer a besoin pour effectuer un travail plus rigoureux.

Des groupes de pression tels que le Canadian Network on Corporate Accountability réclament depuis longtemps le droit légal de contraindre les entreprises à fournir des documents et à témoigner. Mais certains universitaires ont fait valoir qu’une approche plus coopérative avec l’industrie serait plus à même de favoriser le changement.

Une étude juridique externe commandée par Ottawa s’est rangée du côté des défenseurs des droits de l’homme, estimant que Mme Meyerhoffer ne peut être efficace sans une ordonnance réglementaire temporaire et/ou une nouvelle législation permettant d’obliger les entreprises à divulguer des informations.

Mme Meyerhoffer a elle-même déclaré aux médias en novembre 2019 qu’elle demanderait de tels pouvoirs aux libéraux, et elle n’a pas dit mardi si le gouvernement Trudeau avait répondu à cette demande. 

Elle a souligné que de nombreuses organisations ont donné leur avis sur la meilleure façon de concevoir le bureau, qui, selon elle, est unique au monde.

En février, Mme Meyerhoffer a déclaré aux députés qu’elle savait que les groupes de défense des droits de l’homme déconseillaient de déposer des plaintes auprès de son bureau et d’aller directement devant les tribunaux, en partie par crainte de représailles de la part des entreprises qui ne sont pas obligées de coopérer avec son équipe.

Les partis d’opposition ont critiqué Ottawa pour n’avoir saisi aucune cargaison de marchandises produites par le travail forcé. À titre de comparaison, les États-Unis ont saisi 1530 cargaisons l’année dernière et ont finalement empêché 208 d’entre elles d’entrer dans le pays. 

Des groupes de défense ont averti que le coton et les produits de tomates en provenance de Chine pouvaient être des produits issus du travail forcé des Ouïghours.