L’ingérence étrangère pourrait avoir modifié le résultat dans une circonscription

OTTAWA — Les tentatives d’ingérence étrangère n’ont pas changé le vainqueur des deux dernières élections fédérales au Canada, mais elles ont peut-être changé le résultat dans une circonscription en 2021, a conclu une enquête publique vendredi.

Un rapport préliminaire de la commissaire Marie-Josée Hogue indique que l’ampleur de l’influence de l’ingérence étrangère dans certaines circonscriptions est incertaine, même si le nombre de courses concernées est faible.

«Les effets ultimes de l’ingérence étrangère restent incertains», a-t-elle déclaré dans son rapport.

La commissaire a mis en lumière les résultats de 2021 dans la circonscription de Steveston—Richmond-Est en Colombie-Britannique, où il existe une «possibilité raisonnable» qu’une éventuelle campagne d’ingérence étrangère ciblant le candidat conservateur Kenny Chiu lui ait coûté le siège.

«Il m’est impossible d’aller plus loin dans cette analyse», a écrit Mme Hogue.

Des informations trompeuses sur M. Chiu et l’ancien chef conservateur Erin O’Toole sont apparues dans des médias et des sites de médias sociaux liés à Pékin, les décrivant comme étant antichinois et tentant de dissuader les Canadiens d’origine chinoise de voter pour eux.

L’impact réel de cette campagne sur le vote final est «difficile à déterminer», a constaté Mme Hogue.

«Le scrutin est secret au Canada. Il n’est donc pas possible d’établir un lien direct entre les informations trompeuses véhiculées dans les médias et le choix qu’a pu faire un électeur donné», indique le rapport.

«En outre, même en supposant que certaines personnes aient changé d’allégeance, il n’y a aucun moyen de savoir s’il y en a eu suffisamment pour modifier le résultat.»

Le premier ministre Justin Trudeau a déclaré le mois dernier que plusieurs agences de renseignement et de sécurité ont constaté qu’aucune circonscription n’a été victime d’une ingérence étrangère.

Le porte-parole conservateur en matière d’affaires étrangères, Michael Chong, croit que le rapport contredit les propos de M. Trudeau.

«Ce rapport est un ensemble accablant de conclusions et de constatations de ce que le gouvernement Trudeau a mentionné au cours des 18 derniers mois et il contredit une grande partie de ce que le gouvernement nous a dit au cours de cette période», a critiqué M. Chong vendredi.

Selon M. Chiu, la commissaire s’est vu confier un mandat trop restreint et elle n’a pas eu assez de temps pour accomplir son travail. Il aurait aimé qu’elle regarde au-delà des élections de 2019 et de 2021.

À son avis, ce mandat suppose qu’en dehors de cette période, il n’y a eu aucune ingérence étrangère et qu’il y a eu «peu d’impact sur notre démocratie», mais «ce n’est malheureusement pas la vérité». «L’histoire n’a pas commencé avec les élections de 2021.»

M. Chiu a appelé le gouvernement libéral à tenir sa promesse d’implanter un registre des agents étrangers.

M. O’Toole avait affirmé lors des audiences publiques de l’enquête qu’il pensait que la désinformation aurait pu lui coûter jusqu’à neuf sièges aux élections de 2021.

Cela n’a pas suffi à modifier les résultats totaux – les libéraux ont remporté 160 sièges contre 119 pour les conservateurs – mais M. O’Toole a déclaré qu’il pensait que les victoires dans ces circonscriptions lui auraient peut-être permis de rester chef. Il a été évincé par le caucus conservateur en février, moins de cinq mois après les élections.

Mme Hogue a précisé que les preuves qu’elle a vues ne lui permettent pas de tirer des conclusions sur l’impact plus large de cette ingérence.

«Je ne veux pas minimiser les préoccupations légitimes de ceux qui ont soulevé ces questions. Mes conclusions se limitent aux preuves dont je dispose», a-t-elle déclaré.

D’autres soupçons

La commission a également examiné une bataille pour l’investiture libérale de 2019 dans la circonscription de Don Valley Nord, dans la région de Toronto, où Han Dong a remporté la candidature.

Le Service canadien du renseignement de sécurité a signalé un complot potentiel impliquant des étudiants étrangers chinois avec des documents falsifiés fournis par un agent mandataire.

Mme Hogue a déclaré qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour tirer des conclusions sur ce qui s’est réellement passé, et que cela n’était pas non plus dans le mandat de la commission de le faire.

«Cet incident montre clairement à quel point les courses à l’investiture peuvent être des portes d’entrée pour les États étrangers qui veulent s’ingérer dans notre processus démocratique», a-t-elle déclaré.

Les critères de vote dans une course à l’investiture, qui sont décidés par les partis politiques, ne semblent pas très stricts, tout comme les mesures de contrôle, a-t-elle ajouté. C’est un point que Mme Hogue prévoit d’examiner plus en détail lors de la prochaine phase de l’enquête.

M. Dong a remporté le siège aux élections de 2019, mais a quitté le parti libéral l’année dernière pour siéger en tant que député indépendant lorsque les allégations ont été révélées.

La commission a également entendu des témoignages concernant un appel téléphonique entre M. Dong et un responsable consulaire chinois au cours duquel ils ont discuté de la détention arbitraire des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor en Chine. Les deux hommes ont été emprisonnés en décembre 2018 dans ce qui est largement considéré comme des représailles au rôle du Canada dans l’arrestation de Meng Wanzhou, cadre de Huawei, quelques jours plus tôt.

Des rapports de médias basés sur des fuites de renseignements ont affirmé que M. Dong avait plaidé contre leur libération lors de cette conversation avec le responsable consulaire, ce que M. Dong a nié.

Un résumé des renseignements publiés par l’enquête suggère que M. Dong a informé le responsable chinois que même si les «deux Michael» étaient libérés, les partis d’opposition y verraient une affirmation de l’efficacité d’une approche dure à l’égard de la République populaire de Chine.

Mme Hogue n’a fait aucune mention de cette conversation dans son rapport préliminaire.