Les Québécois appuient massivement le plafonnement des GES des pétrolières

MONTRÉAL — Presque neuf Québécois sur dix souhaitent que les industries pétrolière et gazière soient assujetties à un règlement qui les oblige à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), selon un nouveau sondage Léger publié au moment où le gouvernement fédéral s’apprête à réglementer le secteur.

Dans les prochaines semaines, Ottawa devrait publier un projet de règlement qui imposerait un plafond sur les émissions de GES dans les industries pétrolière et gazière et un nouveau sondage, pour le compte de Nature Québec et d’Équiterre, montre qu’une vaste majorité de Québécois, soit 86 %, appuie ce type de réglementation.

À l’inverse, 14 % des répondants estiment que l’industrie va diminuer ces émissions de GES par elle-même.

«Grâce à l’appui d’un pourcentage si élevé de la population du Québec envers la réglementation des secteurs gazier et pétrolier du Canada, le gouvernement fédéral a toute liberté d’agir et d’être ambitieux», a indiqué Anne-Céline Guyon, de Nature Québec.

Les francophones, à 88 %, croient davantage que le gouvernement doit imposer un plafond aux pétrolières que ceux dont la langue maternelle n’est pas le français, à 81 %.

Les répondants dont le niveau de scolarité le plus élevé est le diplôme d’études secondaires sont plus nombreux (20 %) à croire que les pétrolières pourront volontairement diminuer leurs GES que ceux qui ont un diplôme universitaire (12 %) et que ceux qui ont un diplôme d’étude collégiale (10 %).

Des «approches volontaires n’ont jamais fonctionné»

De 1990 à 2021, les émissions de GES du Canada ont augmenté de 14 %, mais celles du secteur de l’exploitation pétrolière et gazière ont augmenté de 88 %, selon le ministère de l’Environnement.

Le pétrole et le gaz ont contribué à 28 % des émissions totales de GES du Canada en 2021, et les sables bitumineux en représentent à eux seuls près de la moitié (13 %).

«Comme les approches volontaires n’ont jamais fonctionné dans ce secteur, il est essentiel d’adopter et de mettre rapidement un solide règlement sur le plafonnement des émissions pour assurer une transition énergétique rapide et équitable au Canada», a indiqué Andréanne Brazeau, d’Équiterre.

En réaction au sondage, l’analyste chez Équiterre a ajouté que «nous n’avons pas l’intention d’avaler tout cru ce qu’Alliance nouvelles voies essaie de nous faire croire avec ses campagnes d’écoblanchiment».

L’Alliance nouvelles voies est un consortium regroupant les plus grandes sociétés canadiennes d’exploitation des sables bitumineux.

Enquête pour écoblanchiment

Dans un communiqué publié sur son site internet, l’Alliance nouvelles voies écrit qu’elle craint que le plafond d’émissions qui sera bientôt proposé par le gouvernement Trudeau «soit basé sur des délais et des trajectoires peu pratiques».

Le regroupement de pétrolières dit «avoir proposé de travailler avec le gouvernement pour déterminer une trajectoire réaliste pour de nouvelles réductions; plus précisément, ceux qui sont techniquement et économiquement réalisables sur le plan de l’exécution».

L’Alliance nouvelles voies affirme s’être engagée dans la carboneutralité et elle estime pouvoir diminuer ses émissions de 22 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone d’ici 2030.

Pour y arriver, elle compte sur des technologies de capture du carbone, dans lesquelles le gouvernement fédéral a investi beaucoup d’argent, mais qui n’ont pas encore prouvé leur efficacité.

Sur le site internet de l’Alliance nouvelles voies, le président du groupe, Kendall Dilling, écrit «que pour les sables bitumineux, il faudra investir entre 70 et 80 milliards de dollars pour atténuer pleinement toutes les émissions associées à notre production».

Le Bureau de la concurrence du Canada mène actuellement une enquête afin de déterminer si l’Alliance nouvelles voies use de pratiques commerciales trompeuses en affirmant que l’exploitation pétrolière est sur la voie de la «carboneutralité».

Greenpeace, qui est à l’origine de la plainte, fait notamment valoir que dans son plan vers la carboneutralité, l’industrie ne tient pas compte des GES émis lors de l’utilisation du pétrole, qui est principalement exporté et brûlé ailleurs dans le monde.

Production record et recentrage sur les sables bitumineux

La production de pétrole brut en Alberta a atteint un record en 2022, totalisant un peu moins de 1,4 milliard de barils, et la volonté de ces entreprises de vouloir diminuer leurs émissions de GES est discutable, si on se fie notamment à une récente déclaration du chef de la direction de Suncor Énergie, Rich Kruger.

Suncor fait partie de l’Alliance nouvelles voies, et Rich Kruger a dit, lors d’une assemblée d’actionnaires au mois d’août, qu’il pensait que le géant du pétrole s’était trop concentré ces dernières années sur la transition énergétique et devait revenir à une stratégie commerciale centrée sur le pétrole.

«Nous accordons une importance un peu disproportionnée à la transition énergétique à long terme», a affirmé M. Kruger, ajoutant que si ces activités sont importantes, elles ne sont pas ce qui rapportera de l’argent aux actionnaires aujourd’hui.

Lors d’une entrevue avec La Presse Canadienne après cette déclaration, le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault, s’était dit particulièrement déçu d’entendre le dirigeant d’une grande entreprise annoncer qu’il se désengage fondamentalement des changements climatiques et du développement durable pour «se concentrer sur le profit à court terme».

Le ministre y voit une preuve supplémentaire, s’il en fallait, de la nécessité de réglementer l’industrie.

Suncor a généré 17,4 millions de tonnes de GES en 2021, soit 2,5 % du total national. Les émissions de Suncor en 2021 étaient 50 % plus élevées qu’elles ne l’étaient en 2011.

Steven Guilbeault entend publier cet automne un projet de règlement qui plafonnera les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant de la production pétrolière et gazière; ce plafond sera abaissé graduellement au fil du temps.

Le ministre n’a pas encore précisé quel sera le plafond de départ, mais le Plan de réduction des émissions, publié en 2022, prévoyait une baisse de plus de 40 % des émissions de l’industrie des hydrocarbures d’ici 2030.