Les parlementaires LGBTQ+ réfléchissent à la polarisation et à la protestation

OTTAWA — Les membres de la communauté LGBTQ+ sont depuis longtemps confrontés à la discrimination et aux préjugés au Canada et ailleurs, devant se battre pour la protection de leur emploi, l’accès aux services et les droits de la personne fondamentaux.

Le Canada a légalisé le mariage homosexuel il y a près de deux décennies et la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit depuis des années la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre.

Mais cette année a donné lieu à un débat houleux sur les droits LGBTQ+ en ce qui concerne les enfants transgenres et autres enfants de genre non conforme. Le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont adopté des politiques exigeant la permission des parents avant d’utiliser le nom ou les pronoms préférés d’un élève à l’école.

Égale Canada, une organisation de défense des personnes et des enjeux LGBTQ+, a signalé plus de 6400 manifestations anti-LGBTQ+ et cas de haine en ligne au cours des trois premiers mois de 2023 seulement.

La Presse Canadienne a contacté les membres du caucus multipartite de la fierté canadienne sur la colline du Parlement au sujet de l’année écoulée en matière de droits et de discours LGBTQ+. Deux ministres libéraux, un député néo-démocrate et un sénateur ont parlé de ce qu’ils voient et entendent à Ottawa et ailleurs, de ce qu’ils ressentent et de ce qu’ils font pour y remédier.

Le ministre de l’Emploi Randy Boissonnault

Le député libéral Randy Boissonnault a déclaré que 2023 avait été une année difficile.

«C’était un pas en arrière dans la marche vers les droits des personnes LGBTQ, a-t-il affirmé. Nous avons dû disposer d’un fonds d’urgence de 1,5 million $ juste pour assurer la protection des (événements) de la Fierté.»

La question même de l’identité a été utilisée comme arme, a-t-il souligné, notamment par «une politique à l’américaine menée par des politiciens canadiens pour tenter de diviser la communauté et de s’en prendre aux enfants trans les plus vulnérables». Il a qualifié cela de «répréhensible», ajoutant : «Pour certains de ces enfants, aller à l’école est le seul endroit où ils peuvent réellement se sentir eux-mêmes.»

En 2024, il faudrait discuter du fait qu’«être un allié ne suffit plus», a soutenu M. Boissonnault.

«Ces enfants ont besoin que les gens soient des champions, a-t-il ajouté. Un allié est quelqu’un qui vous soutient lorsque vous êtes dans la salle. Un champion est quelqu’un qui vous soutient lorsque vous n’y êtes pas.»

Le sénateur du Nouveau-Brunswick René Cormier, coprésident du Caucus canadien de la Fierté

«Le Sénat est l’endroit le plus sûr pour moi en tant que personne queer, car nous traitons de droits. Et avant de devenir sénateur, je ne savais pas à quel point les droits sont importants, ce qui semble ridicule d’une certaine manière», a reconnu le sénateur René Cormier, qui siège au Groupe des sénateurs indépendants.

Il considère qu’il est important que les jeunes générations voient que l’on peut être issu de la communauté LGBTQ, et même être sénateur, a indiqué M. Cormier qui a été nommé sur les recommandations du premier ministre Justin Trudeau en 2016.

«Au Canada, nous sommes vraiment privilégiés, même s’il y a encore beaucoup de problèmes… il y a encore beaucoup d’idées fausses sur ce que cela signifie d’être de cette communauté. Les gens pensent que nous sommes trop bruyants. Nous sortons trop», a-t-il déclaré.

«Mais je pense qu’il est important de se lever et de parler. Le silence n’est pas une solution.»

M. Cormier a décrit la période actuelle comme polarisante et manquant de nuances, avec un besoin d’une meilleure éducation sur ce que signifie être transgenre. Il a fait valoir qu’exclure ces discussions du programme d’éducation sexuelle dans les écoles ne résoudrait pas le problème.

«Je trouve vraiment troublant qu’en tant que pays, nous placions les enfants au milieu de jeux politiques, a-t-il dit. Il y a beaucoup de travail à faire à propos de cela.»

Ce travail doit être réalisé ensemble, au-delà des générations et des identités, a-t-il souligné. 

«Parce qu’en fin de compte, nous sommes tous des êtres humains et nous voulons être heureux.»

Randall Garrison, député néo-démocrate

En juin, le député de la circonscription d’Esquimalt-Saanich-Sooke, en Colombie-Britannique, Randall Garrison a publié un rapport sur la situation des personnes transgenres et de diverses identités de genre au Canada aux côtés de la chercheuse Dylana Thompson. Ses 29 recommandations incluent des moyens de renforcer la communauté LGBTQ+ afin qu’elle puisse répondre à la haine.

«Face à la haine, nous, en tant que communauté, ne pouvons pas toujours compter sur les autres pour nous défendre. Mais si vous êtes pauvre, au chômage ou malade, ou si vous devez faire face à toutes ces choses, vous n’avez pas beaucoup de résilience pour faire face à la haine en plus», a déclaré M. Garrison, qui prend sa retraite en tant que député.

«Si vous souffrez de tous les autres inconvénients liés au fait d’être trans ou non-binaire, il est même difficile de former une organisation qui pourrait obtenir une voix publique parce que vous êtes trop occupé à essayer de survivre», a-t-il dit. 

Il y a eu une résurgence de la haine envers les personnes LGBTQ+ en ligne et en personne, a-t-il souligné. Il a indiqué qu’une famille de sa circonscription avait vu son drapeau de la Fierté déchiré et incendié devant sa maison. Mais il a également noté que la police et le maire local avaient agi rapidement.

«Ainsi, même si j’ai constaté une montée de la haine, j’ai également constaté une amélioration dans la réponse à la haine de la part des institutions publiques», a-t-il déclaré.

Le ministre du Travail Seamus O’Regan

Seamus O’Regan a écrit un discours profondément personnel lors de son vol vers Genève pour une réunion de l’Organisation internationale du Travail plus tôt cette année. À l’époque, certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient avaient demandé à l’organisme des Nations unies de supprimer de son budget toute mention relative à la protection des travailleurs en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre.

«Je suis un travailleur vulnérable. Je suis le ministre du Travail du Canada, mais je suis gay et marié. Je ne pourrais pas travailler, ou je serais emprisonné, ou je serais condamné à mort, si j’étais né dans certains des États membres qui m’ont précédé [à cette tribune]», a déclaré M. O’Regan à l’assemblée.

M. O’Regan, député libéral de St. John’s South-Mount Pearl, à Terre-Neuve-et-Labrador, a déclaré qu’il avait toujours parlé de la façon dont les droits LGBTQ+ peuvent parfois sembler ténus, étant donné que ces droits ont été obtenus de son vivant.

Il a également déclaré qu’être ouvertement gay sur la colline du Parlement oblige les gens à reconnaître sa présence.

«J’existe, je ne suis pas théorique. Si vous voulez supprimer ou diminuer les droits des homosexuels dans ce pays, alors vous devez me regarder dans les yeux pour le faire.»

Il a souligné qu’en tant que ministre, il peut apporter des modifications législatives ou réglementaires qui, selon lui, pourraient être utiles lorsqu’il s’agit de compétence fédérale.

«Mais dans les sphères provinciales et territoriales – et même dans les sphères internationales – je dois parfois m’appuyer sur des arguments moraux, a-t-il soutenu. Je le ferai, et je l’ai fait, sans hésitation.»