Les leaders européens et Trudeau défendent bec et ongles la tarification du carbone

SAINT-JEAN, T.-N.-L. — Le premier ministre Justin Trudeau et les leaders européens ont vivement défendu vendredi l’efficacité de leurs politiques respectives de tarification du carbone, un mois après qu’une première brèche a été ouverte dans la taxe canadienne en la matière.

«La tarification du carbone est un outil important, non seulement pour lutter contre les changements climatiques, mais aussi pour créer des opportunités économiques pour nos entrepreneurs, nos familles et pour aider avec les coûts de la vie», a déclaré M. Trudeau depuis Saint-Jean de Terre-Neuve.

Au cours d’un point de presse conjoint avec le président du Conseil européen, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, M. Trudeau a vanté le prix sur la pollution.

Les trois leaders ont insisté sur ces initiatives en tant que stratégie mondiale de réduction des gaz à effet de serre. «Cette transition doit être équitable, juste, et c’est compliqué», a nuancé M. Micheldans le cadre du sommet Canada-UE de deux jours à Terre-Neuve-et-Labrador.

Dans leur déclaration commune, l’UE et Ottawa ont annoncé «la création d’une Alliance verte (qui) viendra resserrer (la) coopération déjà étroite en matière d’action climatique et soutenir le travail (qui est accompli par) tous deux pour favoriser la croissance d’économies durables, compétitives et offrant des emplois de qualité».

Le président du Conseil européen a présenté le principe de tarification du carbone comme un «instrument puissant et plutôt efficace pour encourager des changements de comportement».

Il a aussi fait valoir que ce type de mesures sert à «donner un signal (aux) acteurs économiques afin qu’ils puissent identifier quels sont les espaces pour des investissements qui soient compatibles avec cet engagement climatique».

M. Michel n’a pas manqué de souligner l’objectif climatique d’atteinte de la carboneutralité d’ici à 2050.

Le mois dernier, le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il effectuait une brèche temporaire dans sa politique phare de tarification du carbone.

L’exemptionconsentie par Justin Trudeau aux Canadiens est, plus précisément, un sursis de trois ans de la taxation sur le carbone pour les propriétaires qui dépendent d’un système de chauffage au mazout. Les libéraux prévoient aussi un financement pour aider les gens à passer au chauffage électrique.

Les Canadiens les plus touchés parce congé de taxe sur le carbone sont ceux qui résident en Atlantique.

«C’est une suspension temporaire limitée et ce sera la seule exception que nous ferons», a insisté vendredi M. Trudeau.

L’ambassadeur canadien en France, Stéphane Dion, a renchéri en affirmant qu’«en politique (…) il faut garder le peuple avec soi».

«Donc on essaie d’avancer, mais en gardant les gens avec nous. Si on veut des puristes, les puristes n’arrivent pas à garder le pouvoir et ils n’arrivent même pas à le prendre. On veut avoir des politiciens pragmatiques et courageux», a-t-il lancé en mêlée de presse.

M. Dion, ancien ministre fédéral, est aussi envoyé spécial canadien auprès de l’Union européenne et de l’Europe. Il a pris part, vendredi avant-midi, à une rencontre bilatérale élargie au cours de laquelle plusieurs politiciens et autres hauts diplomates se sont joints à MM. Michel et Trudeau ainsi qu’à Mme Von der Leyen.

Cette dernière a affirmé, en conférence de presse, que la tarification du carbone a fonctionné en Europe malgré les pressions qu’a engendrées l’invasion russe de l’Ukraine sur les besoins énergétiques.

Interrogée sur ce sujet par La Presse Canadienne, elle a avoué avoir eu «au départ» une certaine «inquiétude» quant aux impacts sur la consommation d’énergies fossiles.

«Mais c’est le contraire qui est (finalement) le cas», a dit la présidente de la Commission européenne. Elle a soutenu qu’en 2022, l’économie a crû de 3,5 % pendant que les émissions ont diminué de 2,5 %.

Aux yeux Roger Hilton, expert collaborant à la recherche pour le groupe de réflexion GLOBSEC, la tarification du carbone peut être plus complexe quant à ses effets concrets dans certains pays européens.

«Particulièrement au niveau de l’Est comme la Slovaquie, la Hongrie ou la Pologne, où ils doivent trouver d’autres formes d’énergie pour qu’ils n’utilisent pas les sources russes», a mentionné le Montréalais d’origine qui habite l’Europe depuis de nombreuses années. 

Recherche et avions-citernes

Les dirigeants ont également confirmé, dans la foulée du sommet, qu’une entente en matière de financement de la recherche était dans les cartons.

Dès l’ouverture du sommet Canada-Union européenne, le premier ministre canadien avait affirmé qu’Ottawa se joignait à l’initiative surnommée Horizon Europe, un programme européen de recherche scientifique totalisant 100 milliards $.

M. Trudeau a aussi fait savoir vendredi que les avions-citernes de nouvelle génération promis à l’Europe seront bel et bien envoyés une fois qu’ils auront été construits au Canada.

Questionné à savoir pourquoi les premiers appareils ne serviraient pas au bénéfice des Canadiens, considérant la saison record d’incendies de forêt, l’été dernier, le premier ministre a répondu qu’il ne dirigeait pas un pays qui «empêche ses amis d’obtenir le soutien dont ils ont besoin».

Il a noté que les événements météorologiques extrêmes secouent les quatre coins de la planète.

«On se doit de continuer d’être présents et généreux les uns pour les autres», a-t-il plaidé. Il a ajouté que les Canadiens bénéficieront, à plus long terme, des avions-citernes construits au Canada.

Démonstration d’amitié

Les trois leaders ont entamé leur journée de travail de vendredi par une rencontre bilatérale à trois d’environ 30 minutes. 

Tous les trois ont voulu faire une démonstration très concrète des liens d’amitié entre l’Europe et le Canada, se lançant des fleurs devant le peloton de journalistes et photographes agglutinés.

Charles Michel a déclaré que «la confiance et l’amitié» sont «vraiment les fondations de la relation entre l’Union européenne et le Canada».

«Nous partageons les mêmes valeurs, les mêmes rêves, les mêmes espoirs», a-t-il ensuite soutenu.

Les leaders européens ont réaffirmé leur soutien à une solution à deux États au Proche-Orient. 

Selon Roger Hilton, le Canada et l’Union européenne ne sont pas dans une position de leadership diplomatique qui mettrait fin aux violences opposant Israël au Hamas.

«C’est clair que les deux grands joueurs internationaux qui vont régler le problème avec les otages ne seraient pas l’Union européenne et surtout pas le Canada. On a vraiment vu le grand leadership (dans) le rôle du Qatar avec les États-Unis», a résumé celui qui se spécialise en enjeux sécuritaires.

L’UE et le Canada ont aussi profité du sommet à Terre-Neuve pour afficher un front uni contre l’invasion russe de l’Ukraine.