Les journalistes locaux, premiers témoins des crises humanitaires

Alors que des milliers de personnes terrifiées emballaient leurs effets personnels la semaine dernière lorsque dans avis d’évacuation ont été publiés à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, le site d’information locale Cabin Radio fournissait des mises à jour ligne par ligne, minute par minute, sur où aller et à quoi s’attendre.

Ollie Williams, un ancien journaliste sportif de la BBC, a écrit bon nombre de ces lignes depuis l’intérieur d’une camionnette sur laquelle se trouve une antenne parabolique maintenue par de lourds sacs de nourriture pour chiens. Lui aussi fuyait.

Il a contribué au lancement de Cabin Radio en 2017, quelques années après avoir déménagé à Yellowknife, la capitale des Territoires du Nord-Ouest, avec une femme qu’il a rencontrée alors qu’il couvrait les Jeux olympiques de Vancouver, en 2010. Dimanche soir, alors qu’il se trouvait dans une auberge située à environ 630 kilomètres de Fort Simpson, dans les Territoires du Nord-Ouest, il témoignait n’avoir aucun regret.

«Le travail que j’occupe est celui que j’aime. Je me suis construit un rôle de journaliste qui a été conçu sur mesure pour être ce que je voulais faire», relate M. Williams.

Cabin Radio est devenue une bouée de sauvetage pour les habitants des Territoires du Nord-Ouest qui ont besoin d’informations immédiates et précises, alors que de violents incendies de forêt menacent leurs maisons et leurs communautés.

Dans les groupes Facebook locaux, les gens publient des captures d’écran des articles de Cabin Radio ou copient et collent le texte. Meta bloque le contenu des nouvelles canadiennes pour protester contre une nouvelle loi fédérale, et l’équipe de Cabin Radio encourage les solutions de contournement.

En dehors du territoire, le public a compris à quel point la situation est effrayante grâce aux entretiens de M. Williams avec les médias nationaux et internationaux, y compris la BBC. Il explique que les quelque 20 000 personnes évacuées de Yellowknife représentent environ la moitié de la population du territoire nordique. Ceux qui fuient par la route, dit-il, doivent conduire pendant des heures le long d’autoroutes isolées, entourées de rochers et de conifères avant d’atteindre la prochaine communauté où ils pourront peut-être dormir.

M. Williams a fondé Cabin Radio avec quatre autres personnes — Andrew Goodwin, Scott Letkeman, Sarah Pruys et Jesse Wheeler — pour combler ce qu’ils percevaient comme une lacune dans la couverture médiatique des Territoires du Nord-Ouest. Il lui semblait que c’était un défi intéressant que de créer un canal qui apporterait la rapidité et la valeur de production de la couverture de la BBC à une petite communauté.

«Un journalisme local précis, responsable, fiable et robuste est l’un des arts les plus difficiles, et aussi l’un des plus agréables lorsqu’il est bien fait, croit-il. Parce que c’est à ce moment-là qu’on fait une différence dans une communauté.»

Lorsqu’il travaillait pour la BBC, il aurait pu «disparaître de la surface de la Terre et personne n’aurait sourcillé», a-t-il poursuivi. Mais lui et l’équipe de Cabin Radio font une différence tangible. 

«Nous avons probablement aidé certaines personnes dans une situation vraiment désastreuse, où les gens avaient toutes les raisons d’être très paniqués, inquiets et stressés, estime le principal intéressé. Et c’est ce que devrait toujours être le journalisme local.»

René Roy est bien d’accord. Il est rédacteur en chef du Wreckhouse Weekly, un petit journal local de Port aux Basques, à Terre-Neuve-et-Labrador, une ville d’environ 3500 habitants située à la pointe sud-ouest de la province.

L’année dernière, alors que la tempête post-tropicale Fiona s’abattait sur sa communauté, M. Roy a pris une photo d’une maison bleue suspendue au bord de l’océan. La photo a été publiée dans des médias aussi loin que Kuala Lumpur, se souvient-il, montrant au monde comment les changements climatiques ont bouleversé la vie dans une ville isolée.

M. Roy a pris la photo alors qu’il échappait lui-même à la montée des eaux. Lui et son équipe de deux personnes ont ensuite passé 20 heures par jour pendant les deux semaines suivantes à rédiger des articles et des mises à jour pour tenir les gens informés des évacuations et de l’aide rendue disponible.

Le «devoir» alimentait ces longues journées, a-t-il déclaré en entrevue.

«Si vous vous souciez de l’endroit où vous travaillez et de la communauté dans laquelle vous êtes, alors vous devez essayer d’aider, explique-t-il. Tout cela repose sur la nécessité d’essayer de diffuser des informations pour aider les gens, pour sauver des vies, pour les amener vers un centre d’évacuation.»

Patricia Elliott, professeure de journalisme à l’Université des Premières Nations du Canada, affirme que les médias communautaires locaux devraient être considérés et financés comme des «infrastructures critiques», comme le sont les autoroutes ou les lignes téléphoniques, d’autant plus que les changements climatiques devraient entraîner des urgences météorologiques plus fréquentes.

«C’est là que les gens se tournent vers leur station de radio locale, vers leur journal local, pour obtenir des informations solides en temps de crise», souligne-t-elle.

Ces débouchés se sont révélés particulièrement cruciaux dans les communautés autochtones éloignées pendant la pandémie de COVID-19 et pendant la saison actuelle sans précédent des incendies de forêt, ajoute la professeure. Souvent, ils étaient le seul endroit où les résidents pouvaient obtenir des informations fiables dans leur langue.

«Ces stations de radio ont survécu grâce à des subventions ponctuelles, relève Mme Elliott. Il n’existe pas de financement universel solide pour les maintenir en activité.»

L’Université des Premières Nations a lancé l’année dernière un programme visant spécifiquement à former des journalistes communautaires capables de poursuivre ce travail, a-t-elle déclaré.

De retour dans les Territoires du Nord-Ouest, M. Williams donne des conseils clairs à quiconque cherche à soutenir les médias locaux.

«Trouvez un média local en qui vous pouvez avoir confiance et soutenez-le de toutes les manières possibles», lance-t-il.

En contrepartie, ceux-ci doivent livrer la marchandise.

«Ils doivent livrer, et régulièrement. Cela doit devenir presque une vocation, estime M. Williams. Parce que c’est comme ça qu’on convainc un public que lorsque ce genre de chose arrive, c’est vers eux qu’il faut se tourner.»