Les familles non conventionnelles doivent toujours surmonter des obstacles sociaux

L’arbre généalogique de River a trois branches, une pour chacun de ses trois parents.

Markus Harwood-Jones, l’un des pères de River, a modifié le livre de bébé de l’enfant de cinq mois afin qu’il reflète la structure non conventionnelle de la famille.

«Je dois constamment corriger des documents comme ceux-là», indique l’homme de 31 ans en entrevue depuis sa résidence de Toronto au sujet des sections sur la garde parentale.

Modifier ce livre d’enfant n’est que l’un des exemples par lesquels M. Harwood-Jones a dû redéfinir le modèle familial depuis que son mari Andrew et lui, ainsi que leur amie et co-parent Hannah ont décidé d’avoir un enfant, il y a six ans.

Un nombre croissant de familles pourrait bien se retrouver dans la même situation alors qu’elles diffèrent du modèle nucléaire qui représentait la norme sociale.

Selon une nouvelle série de données tirées du recensement 2021 et dévoilées cette semaine par Statistique Canada, on apprend qu’il y a plus de 250 000 enfants de moins de 15 ans — environ 4 % — qui vivent avec leurs parents ou leurs grands-parents et au moins une autre personne qui n’a pas de lien familial direct.

Les données montrent aussi que les personnes transgenres en couple, comme M. Harwood-Jones, sont tout aussi susceptibles d’être parents que les personnes cisgenres aussi en couple. Les taux sont respectivement de 47 % et de 50 %.

C’est la première fois que Statistique Canada fait la distinction dans un recensement entre le genre d’une personne et le sexe qui lui est assigné à la naissance. Ainsi, il n’est pas possible de déterminer si les personnes trans sont plus nombreuses à avoir des enfants que par le passé.

Mais même avec ce changement, la famille de River ne correspond pas parfaitement aux catégories de structures familiales de Statistique Canada.

Le nom des trois parents apparaît sur le certificat de naissance de River, ce qui reflète leur rôle égal dans la vie de l’enfant, sans égard au bagage génétique.

Le trio a également rédigé une entente parentale en s’appuyant sur les principes proposés par l’Ontario en cas de séparation, afin de prévoir la suite des choses dans le cas où leur vie commune devait prendre fin.

«Pour toute personne qui considère la co-parentalité, je recommande définitivement de signer une telle entente, insiste M. Harwood-Jones. Elle peut même être notariée.»

Au-delà des dispositions légales, le co-père souligne qu’il existe toujours des obstacles dans la vie des familles atypiques alors que les structures tardent à évoluer au même rythme que la société.

«Les défis des familles à trois parents sont particulièrement évidents dans le monde médical», déplore Markus Harwood-Jones.

Quand la fièvre s’est emparée de River, les politiques mises en place à l’hôpital pour enfant afin de prévenir la propagation de la COVID-19 limitaient l’accès à deux parents auprès du bébé.

«Ils ne voulaient même pas laisser entrer Andrew dans la chambre ou même la salle d’attente», raconte le co-père.

Dans la même veine, bien que la sage-femme ait accepté de faire une exception pour permettre aux deux pères d’assister à l’accouchement, ceux-ci n’ont pas pu accompagner la mère et le bébé dans la chambre de récupération où ils ont dû rester plusieurs jours en raison de complications.

«Andrew et moi avons dû dormir sur place chacun notre tour», précise M. Harwood-Jones.

«Je comprends que nous vivons à une époque où il doit y avoir des limites concernant ceux qui peuvent être présents pour assister à une procédure médicale, mais il faut aussi reconnaître que ces règles sont rédigées de manière hétéronormative. Par conséquent, ces présomptions hétéronormatives excluent les familles comme la nôtre», explique-t-il.

Vanda Matos et Krista Petersen, qui ont deux enfants ensemble, se sont butées à plusieurs de ces présomptions au moment où elles tentaient de concevoir leurs enfants.

«Nous avons fait affaire avec trois différentes cliniques de fertilité », a confié Mme Petersen. «Certaines étaient incroyables et d’autres m’accueillaient en demandant: « Où est votre mari? »».

Les données du plus récent recensement indiquent qu’il y avait 95 435 couples cisgenres de même sexe en 2021, dont 15 % qui avaient des enfants.

Il y a dix ans, d’après Statistique Canada, 10 % des 64 575 couples de même sexe avaient des enfants.

Mesdames Matos et Petersen disent avoir bénéficié des progrès effectués au fil des ans et ainsi avoir pu trouver une clinique de fertilité plus inclusive.

Elles mentionnent également avoir pu dénicher un service de garde bien sensibilisé aux effets pervers du discours hétéronormatif, poursuit Mme Petersen. 

Directrice générale de l’Institut Vanier pour la famille, Margo Hilbrecht croit que ces nouvelles informations fournies par le recensement vont permettre aux gouvernements de reconnaître la prévalence des familles LGBTQ afin que les politiques puissent suivre l’évolution de la société.

«Ils ne peuvent pas faire de changements efficaces jusqu’à ce qu’ils sachent à quoi s’en tenir, analyse Mme Hilbrecht. Ces données nous aident réellement à comprendre à quoi ressemblent les familles du Canada et à quel point elles ont changé afin d’ajuster les politiques.»