Les diplomates qui colligent du renseignement risquent de heurter des alliés

OTTAWA — L’organisme de surveillance des activités de renseignement au Canada affirme qu’un programme d’Affaires mondiales qui permet à des diplomates de colliger des informations sensibles à l’étranger risque de provoquer des réactions négatives dans les capitales.

L’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement prévient que le «Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale» du ministère des Affaires étrangères n’est pas suffisamment surveillé — et a parfois amené des alliés du Canada à confondre diplomates et espions.

Dans le cadre de ce programme, Affaires mondiales Canada déploie une trentaine de diplomates à l’étranger pour rencontrer des «contacts» comme des militants, des journalistes, des chefs religieux, des opposants au gouvernement, voire des opposants armés. Les informations ainsi colligées sont souvent partagées avec l’agence canadienne d’espionnage, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS).

Et l’Office de surveillance signale dans son rapport un manque de clarté quant au rôle que joue le programme d’Affaires mondiales par rapport au travail des agents du SCRS à l’étranger.

L’Office déplore aussi le manque de formation des membres du programme sur la manière dont ils peuvent éviter d’enfreindre les règles internationales qui interdisent aux diplomates d’espionner, en vertu de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques.

Le rapport prévient que ces lacunes pourraient conduire à des relations tendues avec des États étrangers, mais aussi de mettre en péril la sécurité de ces «contacts» qui parlent avec des responsables canadiens.

Le rapport est daté de décembre 2020, mais l’Office de surveillance ne l’a publié sur son site internet que mercredi après-midi; l’agence n’a pas immédiatement répondu lorsqu’on lui a demandé d’expliquer ce retard.

«Les activités menées à l’étranger par certains agents [du programme] suscitent des préoccupations voulant que certaines d’entre elles ne soient pas exercées selon les fonctions et obligations établies» en vertu de la Convention de Vienne, lit-on dans le rapport. «L’examen a également permis de constater que le Programme ne s’était pas doté de mesures de protection apte à garantir la sûreté des contacts à l’étranger.»

«Ça n’est jamais arrivé»

Les responsables d’Affaires mondiales qui supervisent le programme ont indiqué «qu’un ensemble de politiques n’était pas nécessaire puisque les agents « font ce que les diplomates ont toujours fait »», peut-on lire dans le rapport, citant un entretien avec un responsable du programme au ministère.

L’agence a constaté que quatre personnes seulement étaient chargées de gérer une équipe d’une trentaine d’agents, qui publie environ 2000 rapports par année. «Cette charge de travail prive [Affaires mondiales] de la capacité d’appliquer des contrôles de qualité adéquats sur les activités des agents.»

L’Office de surveillance recommande «le renforcement des structures de gouvernance et de responsabilisation, l’élargissement des moyens de contrôle et une sensibilisation accrue aux pratiques exemplaires en matière de gestion de l’information».

Il a également constaté que le programme manquait de coordination: les politiques sont communiquées par courriels et certaines informations recueillies par les diplomates restent dans les ambassades au lieu d’être enregistrées à Ottawa.

Marta Morgan, qui était à l’époque la plus haute fonctionnaire responsable des Affaires étrangères, a répondu à l’Office au début de 2022. Mme Morgan soutient dans sa lettre que le rapport «ne fait pas suffisamment état (…) du fait que les agents [du programme] exercent leurs fonctions ouvertement au titre d’un mandat transparent et bien établi», conforme aux conventions canadiennes et étrangères.

Mme Morgan rejette la «conclusion du rapport indiquant que les activités du Programme posaient le risque de préjudice politique et d’atteinte à la réputation du gouvernement du Canada», affirmant que cela ne s’était jamais produit depuis sa création en 2002.

La sous-ministre des Affaires étrangères de l’époque indiquait qu’un comité consultatif avait été formé pour examiner la gouvernance du programme et que le ministère s’efforcerait de mieux gérer les données et de mettre à jour la formation juridique. Mme Morgan ajoutait que le ministère demanderait aussi à son équipe juridique «d’éclaircir et de documenter les autorisations légales qui permettent au Programme d’exercer ses fonctions en tant que partie intégrante de l’appareil d’établissement de rapports diplomatiques à l’étranger».

Selon le site internet de l’Office de surveillance, la réponse du ministre des Affaires étrangères de l’époque, Marc Garneau, ou de l’actuelle ministre, Mélanie Joly, n’a pas encore été publiée. Affaires mondiales Canada n’a pas immédiatement répondu lorsqu’on a demandé si cette réponse serait rendue publique mercredi.