Les anciens combattants mettent fin à leur mission d’aide aux interprètes afghans

OTTAWA — Ce qui a débuté comme une campagne de financement devant durer 30 jours pour venir en aide aux interprètes afghans fuyant les talibans s’est transformé en une opération douloureuse, chaotique et frustrante qui aura duré huit mois pour le Réseau de transition des vétérans (RTV). Son directeur général estime qu’il est temps d’y mettre fin.

L’organisme a commencé à amasser des fonds l’été dernier quand les talibans ont renversé le gouvernement en Afghanistan, mais comme le souligne le directeur général Oliver Thorne, personne n’avait prévu que cet engagement se prolongerait aussi longtemps.

«Les choses ont en quelque sorte évoluées d’une crise d’évacuation d’urgence en une opération de migration à long terme», a décrit M. Thorne.

Le réseau mettra fin à sa campagne de financement le 2 mai, puis va continuer de réduire ses activités au cours de six prochains mois pour reporter son attention sur ses programmes de soutien en santé mentale pour les anciens combattants.

Des organismes non gouvernementaux menés par d’anciens combattants se sont mobilisés pour secourir des Afghans ayant travaillé avec les Forces armées canadiennes pendant la guerre. Ils ont coordonné des opérations d’exfiltration pour leur permettre de fuir vers des pays voisins avant de pouvoir venir au Canada.

Selon M. Thorne, les dédales bureaucratiques rendent difficiles d’aider ces gens à soumettre les bons documents et causent un goulot d’étranglement dans le système fédéral. Il appelle le gouvernement à relancer ses services consulaires en Afghanistan.

«La capacité de fournir de l’aide consulaire en Afghanistan permettrait d’apaiser une bonne partie de ces tensions, croit-il. C’est vraiment là que se trouve le goulot d’étranglement.»

Le major général à la retraite Denis Thompson fait partie de ce réseau constitué d’anciens combattants, de défenseurs des droits des réfugiés et de bénévoles qui aident les gens à naviguer à travers un système complexe de visas et autre documentation. Il siège au conseil d’administration du RTV en plus d’agir comme conseiller auprès du conseil d’Aman Lara, une ONG canadienne qui opère un réseau de refuges sécurisés en Afghanistan.

Il affirme qu’environ 700 personnes au Pakistan sont actuellement incapables de s’envoler pour le Canada parce qu’elles n’ont pas de visa de sortie de ce pays. Un autre groupe d’environ 500 individus serait prêt à partir de l’Afghanistan, mais n’a nulle part où aller.

«Ils ont les bons documents, insiste M. Thompson. Mais le tuyau est bouché.»

Par ailleurs, environ 450 personnes parmi celles coincées au Pakistan ont des visas périmés et pourraient être forcées de rentrer en Afghanistan pour les renouveler, ce qui les placerait davantage à risque de subir des représailles des talibans.

Les bouleversements politiques au Pakistan à la suite de récentes élections pourraient rendre la tâche encore plus difficile pour le Canada de négocier des modifications au système de visa de sortie obligatoire, craint Denis Thompson. À son avis, ces changements auraient déjà dû être apportés.

«Ce sont des gens qui ont déjà été à l’emploi du Canada, qui se sont déjà mis en situation de danger, a-t-il poursuivi. Je trouve juste ça un peu étrange qu’on ne mette pas plus d’efforts pour aider ceux qui nous ont aidés.»

De son côté, Oliver Thorne dit être en colère de voir que les Afghans n’ont pas droit à cette «voie spéciale» offerte aux Ukrainiens qui fuient l’invasion russe.

Les deux hommes ont l’impression que le gouvernement canadien doit faire mieux pour faciliter le travail des ONG et des groupes humanitaires sur le terrain. Ils saluent tout de même les efforts des «travailleurs acharnés» aux ministères d’Affaires mondiales Canada et d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

«Une grande partie de notre travail aurait pu être déléguée aux fonctionnaires qui veulent obtenir des résultats, mais qui ne semblent pas avoir les outils légaux pour y parvenir, analyse M. Thompson. C’est ce qui me fâche et c’est une responsabilité ministérielle.»

Des sanctions interdisent aux Canadiens de dépenser de l’argent en Afghanistan qui tombera dans les mains des talibans, que cela soit fait directement ou indirectement. Ce qui veut dire que les demandes de financement auprès d’Ottawa ont été mises sur la glace et que les opérations sur le terrain sont limitées.

Dans une lettre ouverte envoyée le 4 avril aux ministres de la Justice, de la Sécurité publique, des Affaires étrangères et du Développement international, neuf organisations humanitaires incluant la Croix-Rouge ont plaidé auprès du gouvernement pour qu’il modifie sa position en mentionnant que d’autres États avaient exempté les groupes humanitaires de leurs sanctions.

«Des exemples de contributions « indirectes » peuvent inclure le fait de payer des impôts sur le salaire des employés, ce qui est obligatoire pour tout organisme qui veut continuer de travailler en Afghanistan», peut-on lire dans la lettre.

Denis Thompson renchérit: «Pour être franc, une bonne partie des solutions à ces problèmes viennent des ONG alors que les problèmes viennent du gouvernement.»

Le gouvernement canadien a promis de permettre à 40 000 réfugiés afghans de s’installer au pays. Jusqu’ici, plus de 10 600 personnes sont arrivées au Canada.

Le RTV se targue d’avoir recueilli 4,6 millions $ en dons et d’avoir aidé 2061 personnes à sortir d’Afghanistan.

Oliver Thorne dit chercher à identifier une autre organisation capable de prendre le relais avant de réitérer qu’il est «vraiment fier de l’incroyable travail effectué par mon équipe».