Le Sénat sous pression concernant un projet de loi lié à la tarification du carbone

OTTAWA — Un projet de loi d’initiative parlementaire conservateur visant à exempter d’autres carburants utilisés par les agriculteurs de la tarification sur le carbone suscite d’intenses tentatives de lobbying au Sénat.

La sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, a reconnu que d’intenses efforts visant à pousser les sénateurs à voter soit en faveur soit contre ce projet de loi sont déployés de part et d’autre.

«Je n’ai jamais subi autant de pression pour un projet de loi d’initiative parlementaire, a avoué Mme Simons en entrevue avec La Presse Canadienne. Ce projet de loi est devenu un symbole et il est utilisé comme un enjeu de discorde.»

Le chef conservateur Pierre Poilievre, qui a déjà fait de l’élimination de la taxe sur le carbone la pièce maîtresse de son message politique, a lancé une campagne de grande envergure pour faire adopter le projet de loi. En ce sens, de nouvelles publicités seront lancées mercredi.

Dans la même veine, les premiers ministres de l’Alberta, de la Saskatchewan et de l’Ontario ont tous écrit aux sénateurs pour leur demander de voter en faveur du projet de loi.

De son côté, le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, a lui-même contacté certains sénateurs, cherchant à faire valoir les raisons pour lesquelles le gouvernement souhaite que le projet de loi ne soit pas adopté.

Mme Simons a même affirmé que les sénateurs recevaient des centaines, voire des milliers, de courriels à ce sujet, la plupart envoyés par des robots.

Soutenir les agriculteurs

Le projet de loi C-234 a été présenté par le député conservateur de l’Ontario Ben Lobb en février 2022 et a été adopté par la Chambre des communes en mars dernier avec le soutien de tous les partis, à l’exception des libéraux.

Le projet de loi vise à retirer le gaz naturel et le propane qui sont utilisés par les agriculteurs pour chauffer leurs bâtiments ou faire fonctionner leurs séchoirs à grains de la tarification sur le carbone.

Les agriculteurs sont déjà exemptés de la tarification de la pollution pour l’essence et le diesel dont ils ont besoin pour faire fonctionner leurs véhicules et machines agricoles. Cependant, ils ont dénoncé que la tarification sur le carbone leur coûte des milliers de dollars pour chauffer les granges et sécher leurs récoltes.

Lors de son témoignage devant le comité sénatorial de l’agriculture, en septembre, le co-président de l’Alliance sur le carbone d’origine agricole, Dave Carey, a soutenu qu’il n’existe «aucune autre option viable» pour chauffer et refroidir les étables et les serres d’élevage, ou pour le séchage des céréales.

Il a affirmé que la tarification sur le carbone n’incite pas les agriculteurs à passer vers d’autres sources d’énergie, et qu’elle constitue plutôt «un fardeau financier important pour les producteurs qui n’ont pas d’autre choix».

Quant à lui, le conseiller principal en climat à la Fondation David Suzuki, Tom Green, a déclaré devant le comité qu’il y a bien des choses que les agriculteurs peuvent faire pour réduire leur utilisation de combustibles fossiles pour les granges et les séchoirs à grains.

Il a cité en exemple les fermes avicoles qui ont installé des toits solaires ou une isolation épaisse qui ont réduit leur consommation d’énergie.

Il a également noté que le gouvernement dispose de programmes de subventions pour les aider à faire la transition vers des options à faibles émissions et qu’il compense les coûts des agriculteurs par un crédit d’impôt.

Ce crédit d’impôt a été créé après le dépôt du projet de loi C-234. Il n’est pas lié la tarification sur le carbone qui est réellement payée par les agriculteurs ni à la quantité de carburant utilisée. Il est plutôt calculé sur la base du revenu de l’exploitation agricole.

«Le projet de loi C-234 place le Canada sur une pente glissante en envisageant des exemptions secteur par secteur, intérêt particulier par intérêt particulier», a prévenu M. Green.

«Chaque secteur peut trouver ses propres raisons pour lesquelles il mérite une aide.»

Volte-face

Un mois après cette réunion du comité sénatorial, les libéraux ont soudainement annoncé qu’ils exempteraient le mazout de la tarification sur le carbone pendant trois ans, afin de donner plus de temps aux gens qui utilisent ce type de chauffage pour remplacer leurs chaudières au mazout par des thermopompes électriques.

De nombreux opposants à cette mesure l’ont rapidement qualifiée de manœuvre politique visant à protéger la réputation des députés libéraux dans les provinces de l’Atlantique, où le mazout est utilisé par environ un foyer sur trois.

Mme Simons était furieuse

La sénatrice venait de voter en faveur d’une version du projet de loi C-234 qui avait été amendée en comité afin que l’exemption ne s’applique qu’au séchage des grains, et non au chauffage des bâtiments agricoles.

Or, le gouvernement retirait unilatéralement la tarification sur le carbone pour un autre secteur, offrant un avantage significatif aux provinces de l’Atlantique.

Lorsque le projet de loi a été renvoyé devant le Sénat plénier, les sénateurs ont annulé la version qui avait été annulée par le comité, ce qui aurait laissé la situation s’échauffer.

Mme Simons s’est abstenue lors de ce vote.

«Je ne pouvais pas regarder les agriculteurs de l’Alberta en face et voter en faveur, étant donné ce qui s’est passé dans le Canada atlantique», a-t-elle déclaré.

Quarante-deux sénateurs ont voté contre le projet de loi amendé, tandis que 28 ont voté pour. Trois, dont Mme Simons, se sont abstenus.

La version du projet de loi qui ne contient pas l’amendement est toujours sur la table et attend un vote final avant de mourir ou d’être adoptée et de devenir loi.

Le Sénat, qui est majoritairement composé de membres indépendants sans lien direct avec un parti politique, est moins prévisible qu’avant. Il est donc difficile de se prononcer sur ce qu’il adviendra de ce projet de loi.

Le débat sur le projet de loi devrait reprendre lorsque le Sénat se réunira à nouveau, la semaine prochaine.