Le Protecteur reproche à Québec de ne pas agir assez vite pour les Autochtones

Le gouvernement Legault a jusqu’ici échoué plutôt lamentablement dans la mise en œuvre des recommandations de la Commission Viens, cette commission d’enquête qui s’est penchée entre septembre 2016 et septembre 2019 sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec.

Le Protecteur du citoyen, qui avait le mandat de faire le suivi des 142 «appels à l’action» de la Commission, a dévoilé mercredi un premier rapport qui montre que seulement 11 de ces appels ont été pleinement réalisés et 34 ont des «suites satisfaisantes». À l’opposé, 96 des recommandations n’ont connu «aucune suite satisfaisante» et l’une est encore analysée.

Il s’agit donc là d’un taux de réussite d’à peine 32 %.

«Quatre ans après le dépôt du rapport de la Commission, c’est évidemment inférieur aux attentes», a tranché le protecteur Marc-André Dowd en présentant son rapport à Val-d’Or, en Abitibi.

Problèmes urgents à résoudre

Les actions requises visaient les services policiers, les services correctionnels, la justice, la santé et les services sociaux, ainsi que les services de protection de la jeunesse. Le rapport de Marc-André Dowd rappelle que des problèmes urgents demeurent sans réponse en matière de protection de la jeunesse, de droits des femmes autochtones, particulièrement en milieu carcéral, d’accès à la justice ou de logement, pour ne nommer que ceux-là.

Le rapport décrit de façon plutôt diplomatique cet échec, affirmant que «les progrès ont été modestes considérant le caractère pressant de plusieurs enjeux soule­vés dans le cadre de la Commission Viens, enjeux reconnus comme alar­mants depuis des décennies».

Certes, il reconnaît que plusieurs de ces appels à l’action prendront du temps, mais il est sans complaisance quand vient le temps d’identifier les principales causes de ce résultat peu reluisant. 

Ainsi, au premier chef, il dénonce l’absence d’une stratégie globale de mise en œuvre qui entraîne une approche à la pièce dans bien des cas. Il reproche également au gouvernement Legault de constamment présenter des plans d’action élaborés d’avance, sans consultation préalable des Autochtones. 

Il n’accepte pas non plus que l’on invoque un manque de ressources pour justifier la lenteur d’agir. «Le manque de budget ou de personnel, aussi incontestable soit-il, ne peut soustraire l’État à ses grandes missions. Il en va de même pour les droits et les besoins des Premières Nations et des Inuit», a tenu à rappeler M. Dowd.

Discrimination ou racisme systémique

«La discrimination systémique à l’égard des membres des Premières Nations et des Inuit perdure et il est impératif que l’État tout comme la société y mettent fin», écrit-il. Poussé à se prononcer quant à savoir si le gouvernement devrait reconnaître le racisme systémique ou la notion moins chargée de discrimination systémique, M. Dowd a dit croire que «de reconnaître la discrimination systémique pour le gouvernement du Québec, ce serait un élément qui permettrait un déblocage important». 

Il a toutefois ajouté que lors des travaux avec les représentants autochtones, «on a bien senti l’importance qui est très chargée du concept de racisme systémique». Et s’il reconnaît lui-même l’existence du racisme systémique au nom du Protecteur du citoyen, «je ne peux répondre pour le gouvernement», a-t-il pris soin de préciser.

Ouverture à Québec?

Dans les minutes suivant le dépôt du rapport, le ministre Ian Lafrenière, responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuit, a laissé entendre que la porte, jusqu’ici fermée à double tour, s’était peut-être entrouverte sur cette question à la suite des consultations houleuses sur le projet de loi 32. «J’avais dit que j’avais entendu l’ensemble des gens, des gens qui nous demandaient comment définir la sécurisation cultuelle, des gens qui me disaient que c’était du racisme systémique, des gens qui me disaient que c’était de la discrimination systémique. Moi, j’ai dit que je prenais un pas de recul, que j’avais entendu les gens, que je me donnais le temps de réfléchir à tout ça.» 

Quant au piètre résultat obtenu jusqu’ici par rapport aux 142 appels à l’action, le ministre le reconnaît, mais se défend en affirmant qu’il partait d’une page blanche. «Le constat est très clair. Mais on est parti avec rien. Il n’y avait absolument rien qui avait été mis en place dans la Commission Viens. On avait tenté auparavant de le faire conjointement avec les Premières Nations. On n’avait pas réussi.»

Il a fait valoir que depuis le début du deuxième mandat, «on a commencé, on a fait des changements. On part de zéro. Est-ce qu’il y a des changements qui ont été faits? La réponse est oui. Est-ce que c’est parfait? La réponse est non. Est-ce qu’il y a encore des choses à faire? Absolument.»

«Ça frise l’improvisation»

Rejoint par La Presse Canadienne, le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, a dit endosser les conclusions du Protecteur du citoyen. L’absence de stratégie globale, selon lui, est un problème majeur. «C’est une approche beaucoup plus à la pièce qui est vraiment ciblée au niveau des nations. J’appellerais ça des bilatérales avec certaines nations et avec certaines communautés, même. C’est là où il y a absence de cohésion et où ça frise l’improvisation.»

Tout comme Marc-André Dowd, il presse le gouvernement d’intégrer dans les lois québécoises les principes contenus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. «C’est un document clé qui viendrait nous mettre autour d’une même table et discuter de sa mise en oeuvre», plaide-t-il.

À la lumière du chemin parcouru jusqu’ici, Ghislain Picard s’interroge maintenant sur l’avenir. «Il reste trois ans au présent gouvernement. C’est quoi la piste d’atterrissage dans trois ans, lorsque les Québécois seront à nouveau appelés aux urnes? On pense être rendu où, on veut être rendu où comme gouvernement du Québec?»

À Québec, outre le ministre Lafrenière, la porte-parole solidaire en matière de relations avec les Premières Nations et les Inuit, Manon Massé, a fustigé le gouvernement Legault et promis de le talonner. «Qu’il y ait seulement le tiers des 142 appels à l’action qui sont en bonne voie, je peux dire que c’est vraiment décevant parce qu’il y a une urgence d’agir. On le sait depuis la Commission Viens, on le sait depuis avant. (…) Les Autochtones sont en droit de s’attendre à mieux.»

Elle aussi a dénoncé le «manque de vision globale» du gouvernement caquiste face aux peuples autochtones.