Le Nobel de physique remis au pionnier de l’intelligence artificielle Geoffrey Hinton
Lorsque Geoffrey Hinton a traversé la scène de la maison des concerts de Stockholm mardi pour recevoir son prix Nobel de physique des mains du roi Carl XVI Gustaf de Suède, il était radieux.
Il a fallu des décennies pour que les gens hors de la communauté scientifique se rendent compte que le travail de toute une vie de l’informaticien britanno canadien était si important qu’il constitue en somme la base de l’intelligence artificielle.
Mardi, lorsqu’avec son colauréat John Hopfield il acceptait le diplôme représentant son prix et la médaille qui l’accompagne, aucun doute ne planait sur l’importance des découvertes de M. Hinton ni sur la façon dont il a marqué l’histoire.
Au lieu de ça, il n’y avait que de la fierté pour l’affable homme de 77 ans, souvent appelé le parrain de l’IA – et cette fierté s’est fait sentir de Stockholm à Toronto.
Une foule chaleureuse d’une centaine d’étudiants et de collègues de M. Hinton à l’Université de Toronto, où il est professeur émérite, s’est rassemblée mardi au campus du centre-ville pour voir le chercheur britanno canadien et son colauréat recevoir le prix. Deux autres fêtes de visionnement ont eu lieu dans les campus de l’école à Mississauga et Scarborough.
La moindre mention de la physique et l’apparition de M. Hinton, vêtu d’un complet sombre et d’un nœud papillon blanc, ont généré des applaudissements soutenus lors du rassemblement de Toronto. Lorsque l’homme du moment est allé chercher sa récompense auprès du roi, quelques anciens étudiants et collègues avaient les larmes de leurs yeux.
«Il y a cette impression, du moins pour moi, que le professeur Hinton a créé tout l’écosystème ici, où il y a des milliers de personnes qui travaillent sur ses idées», a déclaré Michael Guerzhoy, qui a étudié sous M. Hinton avant d’à son tour donner l’un des cours que le professeur avait autrefois dirigés.
Un travail longtemps ignoré
Les travaux qui ont valu le Nobel à M. Hinton, surnommé le parrain de l’IA, ont été achevés dans les années 1980, à une époque où l’IA était loin d’être la technologie à la mode qu’elle est aujourd’hui.
Pourtant, M. Hinton a persévéré et a fini par créer la machine Boltzmann, qui apprend à partir d’exemples plutôt que d’instructions et qui, une fois entraînée, peut reconnaître des caractéristiques familières dans l’information, même si elle n’a jamais vu ces données auparavant.
Des décennies plus tard, elle a attiré l’attention du comité Nobel, ce qui lui a valu l’honneur qu’il a reçu mardi.
«C’était très amusant de faire les recherches, mais c’était un peu énervant que beaucoup de gens – en fait, la plupart des gens dans le domaine de l’IA – disaient que les réseaux neuronaux ne fonctionneraient jamais», s’est rappelé M. Hinton lors d’une conférence de presse le jour d’octobre où il a été nommé lauréat du prix Nobel.
«Ils étaient bien convaincus que ces choses-là n’étaient qu’une perte de temps et que nous ne serions jamais capables d’apprendre des choses compliquées comme, par exemple, de comprendre le langage naturel à l’aide de réseaux neuronaux – et ils avaient tort.»
Les réseaux neuronaux sont des modèles informatiques qui ressemblent à la structure et aux fonctions du cerveau humain
En présentant M. Hinton pour qu’il reçoive son prix, la présidente du comité Nobel de physique, Ellen Moons, a affirmé que ces réseaux sont efficaces pour trier et interpréter de grandes quantités de données et s’auto-améliorent en fonction de la précision des résultats qu’ils génèrent.
«Aujourd’hui, les réseaux neuronaux artificiels sont des outils puissants dans les domaines de la recherche couvrant la physique, la chimie et la médecine, ainsi que dans la vie quotidienne», a-t-elle ajouté.
John DiMarco n’a pas été surpris que le travail du professeur Hinton ait ouvert la voie à de telles possibilités. Le directeur informatique du département informatique de l’Université de Toronto est cependant surpris que le prix Nobel de M. Hinton soit décerné en physique.
Une présence marquée dans l’université
M. DiMarco a rencontré le professeur Hinton il y a environ 35 ans lors d’un entretien d’embauche et a rapidement remarqué sa propension à l’humour et les bizarreries dans la façon dont son esprit fonctionne.
«Il est très perspicace et il va droit au cœur des choses», a déclaré M. DiMarco.
«Il sortait parfois de son bureau et partageait une nouvelle idée. Nous ne comprenions pas toujours ce qu’il partageait, mais il était très enthousiaste à ce sujet.»
Beaucoup de ces idées nécessitaient une puissance de calcul que les systèmes de l’école n’avaient pas. L’équipe de M. DiMarco avait alors mis au point une solution avec des unités de traitement graphique provenant de consoles de jeux vidéo.
M. DiMarco a apporté l’une des UTG du professeur à la soirée de visionnage, à laquelle assistait également Joseph Jay Williams, le directeur du laboratoire d’interventions adaptatives intelligentes de l’Université de Toronto.
M. Williams a suivi l’un des cours de M. Hinton et a déclaré qu’il a «changé le cours de (sa) vie» en l’encourageant à poursuivre des études supérieures, ce qui l’a ensuite conduit à remporter le XPRIZE Digital Learning Challenge, un concours mondial visant à récompenser les personnes qui modernisent les outils et les processus d’apprentissage.
Parmi les autres mentorés et anciens élèves notables des cours de M. Hinton, on compte Ilya Sutskever, cofondateur d’OpenAI, ainsi que Nick Frosst et Aidan Gomez, les cofondateurs de Cohere.
Avec sa victoire au Nobel et tant de protégés estimés, M. Williams raconte que M. Hinton est devenu une «célébrité réticente» qui est harcelée pour des photos à chaque fois qu’il est sur le campus.
Le professeur Hinton, cependant, a adopté une approche beaucoup plus humble à l’égard de sa récente victoire, dont il a entendu parler lors d’un voyage en Californie.
Il a d’abord pensé que l’appel de l’académie qui décerne le Nobel était un canular, mais il s’est rendu compte plus tard qu’il devait être réel, car il venait de Suède et que l’orateur avait «un fort accent suédois».
Le prix est accompagné de 11 millions de couronnes suédoises — environ 1,4 million $ CAN – provenant d’un legs laissé par le créateur du prix, l’inventeur suédois Alfred Nobel.
MM. Hinton et Hopfield se partageront l’argent, une partie de la somme de M. Hinton allant à Water First, une organisation ontarienne qui œuvre pour améliorer l’accès des Autochtones à l’eau, et à une autre organisation caritative anonyme qui soutient les jeunes adultes neurodivergents.
Être conscient des dangers de l’IA
M. Hinton a déclaré qu’il n’avait pas l’intention de faire beaucoup plus de «recherches de pointe».
«Je pense que je vais passer mon temps à plaider pour que les gens travaillent sur la sécurité», a-t-il déclaré en octobre.
L’année dernière, M. Hinton a quitté un poste qu’il occupait chez Google pour parler plus librement des dangers de l’IA, qui incluent, selon lui, les préjugés et la discrimination, les fausses nouvelles, le chômage, les armes autonomes mortelles et même la fin de l’humanité.
Lors d’une conférence de presse à Stockholm en fin de semaine, il a affirmé qu’il ne regrettait pas le travail qu’il a effectué pour jeter les bases de l’intelligence artificielle, mais qu’il aurait aimé penser à la sécurité plus tôt.
«Dans les mêmes circonstances, je referais la même chose», a-t-il déclaré.