Le Manitoba pourrait avoir le premier premier ministre issu des Premières Nations
WINNIPEG — Un premier ministre des Premières Nations dirigerait une province pour la première fois dans l’histoire du Canada si les néo-démocrates remportaient les élections du 3 octobre au Manitoba, et l’importance n’échappe pas au chef du parti, Wab Kinew.
«Mon père n’avait pas le droit de voter quand il était jeune, et j’ai une chance de potentiellement diriger la province, a-t-il souligné dans une entrevue avec La Presse Canadienne le mois dernier. C’est un grand changement qui témoigne du progrès dans notre pays et dans notre province en une génération.»
M. Kinew est né en Ontario et a vécu dans la Première Nation Onigaming lorsqu’il était jeune garçon. Son défunt père était un survivant des pensionnats qui a subi d’horribles abus et a transmis à Wab Kinew l’importance de la culture et de la langue anishinaabe.
L’ancien animateur à CBC a été élu dans la circonscription de Fort Rouge à Winnipeg en 2016. L’année suivante, il s’est porté candidat avec succès à la tête du NPD, le mettant sur la voie de devenir potentiellement le premier premier ministre des Premières Nations et le deuxième premier ministre autochtone de la province.
John Norquay a été le premier Autochtone à occuper le poste de premier ministre du Manitoba. M. Norquay, qui était Métis, fut le cinquième premier ministre de la province jusqu’en 1887.
Et, même si d’autres citoyens métis ont servi aux plus hauts niveaux politiques de la province, l’histoire du Manitoba avec les dirigeants des Premières Nations dans la politique provinciale ne remonte qu’à quelques décennies.
Ce n’est que dans les années 50 et 60 que les membres des Premières Nations ont été autorisés à voter sans condition aux élections provinciales et fédérales.
«Des barrières historiques encore en train d’être surmontées»
L’ancien néo-démocrate Elijah Harper a été l’un des premiers membres des Premières Nations à devenir membre de l’Assemblée législative du Manitoba en 1981. Depuis lors, plus d’une douzaine de Métis et de membres des Premières Nations ont été élus pour siéger au sein des formations néo-démocrates, libérales et conservatrices.
Mais il y a encore une proportion très faible d’Autochtones en politique provinciale. Il y a eu une plus grande représentation dans les territoires, avec une histoire de premiers ministres autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
«Il existe des barrières historiques qui sont encore en train d’être surmontées. Certaines d’entre elles ont un impact au niveau personnel, comme les traumatismes intergénérationnels, d’autres sont des barrières systémiques», a déclaré M. Kinew.
Réal Carrière, professeur adjoint au Département d’études politiques de l’Université du Manitoba, mène des recherches sur la représentation autochtone dans la politique canadienne.
Il a souligné que si M. Kinew devenait premier ministre, il s’agirait d’un moment important, car cela montrerait un Autochtone excellant dans un espace qui n’a pas toujours été accueillant pour les Premières Nations, les Inuits et les Métis.
«Il existe encore des stéréotypes dominants qui voient les peuples autochtones de manière négative, a déclaré M. Carrière. Et le véritable objectif ici est de remettre en question ces stéréotypes et de permettre ensuite aux autres peuples autochtones de voir qu’il est possible de réussir au plus haut niveau.»
Des modèles pour les jeunes
Kevin Chief connaît le pouvoir que la représentation peut avoir sur les jeunes.
L’ancien député néo-démocrate et ministre raconte souvent une histoire de son enfance dans le quartier nord de Winnipeg, alors qu’il était monté à bord d’un autobus de transport en commun pour trouver un homme autochtone au volant.
Ce moment a laissé un impact durable sur M. Chief. Même s’il n’est pas devenu chauffeur d’autobus, il a indiqué que cet homme est devenu un modèle pour lui en ouvrant son esprit aux possibilités.
«On ne peut pas dire aux jeunes que les choses sont possibles, il faut vraiment leur montrer», a-t-il fait valoir.
Si M. Kinew devient premier ministre, cela symbolisera un mouvement de réconciliation plus large observé à l’échelle nationale dans la politique canadienne et dans d’autres secteurs, estime M. Chief.
«La seule façon de devenir le premier premier ministre des Premières Nations d’une province est d’avoir le soutien des électeurs autochtones et non autochtones.»
Entre deux mondes
Les politiciens autochtones doivent souvent évoluer dans deux mondes et équilibrer les attentes au sein de leur propre communauté et en tant qu’élu représentant une circonscription.
Eva Aariak s’y connaît bien. L’actuelle commissaire du Nunavut a été la deuxième première ministre du territoire et la première femme à occuper ce poste dans le territoire.
La femme inuite a passé la majeure partie de sa carrière à travailler en politique, que ce soit au niveau local ou territorial.
«Les dirigeants autochtones ont un niveau de compréhension supplémentaire, car ils doivent comprendre pleinement les deux mondes. Dans de nombreux cas, ils deviennent ainsi plus efficaces», a déclaré Mme Aariak.
Elle a ajouté que le Canada a encore du chemin à parcourir pour voir les Autochtones, en particulier les femmes autochtones, occuper des rôles de leadership. Mais des progrès ont été réalisés, notamment la nomination de Mary Simon, qui est inuite, au poste de première gouverneure générale autochtone du Canada.
M. Kinew a déclaré qu’il ne voulait pas seulement être le meilleur premier ministre des Premières Nations, il voulait être le meilleur premier ministre de la province. Qu’il remporte ou non les élections de cette année, il croit que le Manitoba progresse en tant que province.
«Si nous augmentons la participation de tous les coins de la société, je pense que cela renforce notre démocratie», fait-il valoir.
— Avec des informations de Steve Lambert