Le différend Canada-Inde est propice à la désinformation, dit le département d’État

WASHINGTON — L’impasse diplomatique actuelle du Canada avec l’Inde risque d’en faire une cible encore plus tentante pour les efforts internationaux qui utilisent la désinformation pour remodeler les discours mondiaux, a déclaré un haut responsable du département d’État américain.

Qu’il s’agisse de factions politiques rétives, d’indignation populaire, d’instabilité économique ou de différends géopolitiques, les conflits facilitent toujours l’enracinement des mensonges, a souligné James Rubin, coordinateur du Global Engagement Center.

«Chaque fois qu’il y a un mécontentement sous-jacent dans un pays, les manipulateurs l’utiliseront», a déclaré M. Rubin lors d’une conférence de presse jeudi à propos du nouveau rapport de l’organisme sur les objectifs de la Chine en matière de refonte de l’espace de l’information.

«Malheureusement, ils améliorent constamment leurs méthodes.»

Les médias sociaux mettent désormais à nu les divisions qui existent dans n’importe quelle partie du monde, «et grâce à l’intelligence artificielle et aux dépenses consacrées à celle-ci, ils peuvent développer des récits sur mesure», a-t-il indiqué.

Et même si M. Rubin a rapidement souligné qu’il n’avait vu aucune preuve que la Chine cherchait à exploiter le conflit entre le Canada et l’Inde, «il s’agit évidemment d’un domaine propice à la manipulation de l’information».

Le différend a éclaté au grand jour le mois dernier lorsque le premier ministre Justin Trudeau a révélé des «allégations crédibles» d’un lien entre le gouvernement indien et la mort par balle en juin d’un éminent dirigeant sikh en Colombie-Britannique.

Hardeep Singh Nijjar, 45 ans, défenseur de longue date de l’idée d’un État sikh indépendant dans la province du Pendjab, a été tué alors qu’il était au volant de sa camionnette par deux hommes armés masqués devant un temple à Surrey, en Colombie-Britannique.

L’Inde – où M. Nijjar a longtemps été qualifié de terroriste et recherché pour de multiples attaques remontant à 2007 – a vigoureusement nié toute implication.

Un «sujet délicat» pour les États-Unis

M. Rubin a reconnu jeudi que le différend était un «sujet délicat» pour les États-Unis, qui souhaitent renforcer leurs liens avec l’Inde dans le cadre d’un plan à long terme visant à construire un rempart géopolitique contre la Chine dans l’Indo-Pacifique.

Et bien qu’il ait suivi de près les arguments officiels américains, appelant les deux pays à coopérer dans une enquête pour garantir que les auteurs soient traduits en justice, M. Rubin a d’abord parlé d’un «assassinat», un terme qu’il a ensuite rétracté.

«Je voulais dire le mot « meurtre », a-t-il déclaré. C’était clairement un meurtre, cela devrait faire l’objet d’une enquête au Canada, c’est terrible que cela se soit produit, mais j’aurais dû utiliser le mot « meurtre », pas assassinat, car cela a des connotations politiques.»

Un porte-parole du gouvernement indien a reconnu cette semaine que New Delhi souhaitait que le Canada réduise sa présence diplomatique dans le pays, mais n’a pas confirmé les informations selon lesquelles 41 des 62 envoyés canadiens pourraient être expulsés d’ici lundi.

Ottawa a déclaré que les discussions étaient en cours, mais qu’il avait besoin que ses émissaires restent en Inde pendant que les efforts se poursuivent pour résoudre l’impasse.

Affaires mondiales Canada a déclaré jeudi soir dans un communiqué que «pour des raisons de sécurité et opérationnelles», il n’était pas en mesure de fournir des détails sur l’empreinte diplomatique actuelle du Canada en Inde.

Campagnes de désinformation de la Chine

La crise s’est avérée un sujet tenace à la fois à Washington et à Ottawa, qui se sont tous deux davantage concentrés ces derniers mois sur la meilleure manière de répondre aux menaces mondiales posées par la Russie et la Chine.

Ce dernier pays a déployé de manière agressive ses campagnes de désinformation au Canada ces dernières années, une cible particulière – le député conservateur Michael Chong – méritant une mention spécifique dans le nouveau rapport du département d’État.

M. Chong, qui représente une circonscription de l’Ontario, a témoigné le mois dernier devant une commission du Congrès au sujet de son expérience, qui comprenait un complot d’intimidation chinois visant le député et ses proches à Hong Kong en 2021.

Plus tôt cette année, M. Chong a également été au centre d’une tentative d’agents chinois visant à le discréditer avec de fausses informations, en utilisant WeChat, un réseau social et une application de messagerie directe populaire dans la diaspora chinoise.

«La (République populaire de Chine) a utilisé WeChat comme canal de diffusion de désinformations ciblant les locuteurs de langue chinoise résidant dans les démocraties», indique le rapport.

Le réseau impliquait des comptes liés aux médias d’État et à l’appareil d’État chinois «de manière opaque» et «partageait et amplifiait des informations fausses et trompeuses sur l’identité, les antécédents et les opinions politiques de M. Chong».

M. Rubin a noté avec une certaine ironie que la Chine est depuis des décennies un féroce gardien de ses affaires intérieures, même si elle s’engage dans des efforts pour manipuler les discours dans les pays du monde entier.

«Il n’y a rien de mal à ce que les gens posent des questions difficiles, ou même suggèrent des choses scandaleuses, tant que cela est fait d’une manière ouverte et transparente, où l’on sait qui dit quoi à qui et pourquoi», a-t-il déclaré.

«Lorsque la provenance des informations n’est pas claire, lorsque nous ne savons pas si c’est le gouvernement chinois ou le gouvernement russe qui fait quelque chose, alors il s’agit de manipulation d’informations.»