Le Canada prolonge de 20 ans la durée de protection du droit d’auteur

OTTAWA — Aucun nouveau livre ou pièce de théâtre ne sera ajouté au domaine public avant 2043 au Canada, puisque le gouvernement fédéral a prolongé de 20 ans la durée de protection du droit d’auteur juste avant la fin de 2022.

Jusqu’au 30 décembre dernier, la protection du droit d’auteur pour les œuvres originales de nature littéraire, dramatique, musicale ou artistique s’appliquait pour la vie de l’artiste, en plus de 50 ans après sa mort.

Or, depuis cette date, la nouvelle réglementation s’applique pour la vie de l’artiste et 70 ans après sa mort.

Ce changement permet au Canada de respecter un engagement effectué dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique et fait en sorte que la même règle sera appliquée au Canada et aux États-Unis, où la période de 70 ans après la mort de l’artiste est en vigueur depuis 1998. 

Cet accord a donné au Canada jusqu’au 31 décembre 2022 pour se conformer et il a devancé ce délai d’un jour.

Dans une déclaration du bureau du ministre de l’Innovation François-Philippe Champagne, le gouvernement a déclaré que le changement met également le Canada sur un pied d’égalité avec de nombreux autres pays, y compris ceux d’Europe, ainsi que le Royaume-Uni et l’Australie.

«Le Canada continuera de faire sa part pour protéger les intérêts des artistes, des créateurs et des titulaires de droits, tout en continuant d’équilibrer les besoins de l’industrie», indique la déclaration.

Cela signifie que les œuvres artistiques qui auraient pu être republiées ou réutilisées sans autorisation depuis le 1er janvier bénéficieront d’une protection supplémentaire de 20 ans.

C’est ce qui a permis, par exemple, de nombreuses adaptations, réimpressions, antépisodes et suites pour l’œuvre «Anne aux pignons verts», qui est entrée dans le domaine public aux États-Unis en 1983 et au Canada en 1992.

Le domaine public permet également aux bibliothèques, musées et archives d’utiliser librement des œuvres à des fins de recherche et historiques, y compris la publication en ligne d’archives d’importants documents d’hommes politiques et de dirigeants mondiaux.

Par exemple, la protection du droit d’auteur de certains des écrits de l’ancien premier ministre fédéral Lester B. Pearson, décédé en décembre 1972, expirera le 1er janvier 2043.

La protection du droit d’auteur n’est pas rétroactive, mais s’applique à tout auteur, compositeur ou scénariste dont les œuvres auraient été ajoutées au domaine public d’ici 2043, ce qui signifie que pendant 20 ans rien de nouveau ne sera ajouté au domaine public au Canada.

Cette période touche les romans d’auteurs canadiens comme Margaret Laurence et Gabrielle Roy, mais aussi des écrivains internationaux comme J.R.R. Tolkien et Roald Dahl.

Valeur historique 

Les associations d’écrivains sont généralement favorables à ces changements, car plus les créateurs sont assurés d’être payés pour leur travail, plus ils sont incités à créer.

Les universitaires, les bibliothécaires, les archivistes et les musées, cependant, soutiennent que cela limite leur capacité à accéder et à utiliser des centaines d’œuvres, dont la plupart n’ont plus aucune valeur commerciale.

«La réalité est que la grande majorité des œuvres qui entrent dans le domaine public n’ont que très peu, voire plus du tout, de valeur commerciale», a déclaré Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa.

«Et c’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup d’autres sont vraiment troublés par cette extension, car tant d’œuvres peuvent avoir une valeur culturelle historique, mais n’ont plus de valeur commerciale.»

M. Geist conteste également l’idée que le délai de 50 ans après la mort étouffait la création.

Il a expliqué que selon lui, personne n’a hésité à écrire un grand roman au cours des dernières années puis s’est réveillé en se disant qu’il peut maintenant aller de l’avant puisque leurs héritiers ont 20 ans de plus de protection après sa mort. «Les gens ne pensent tout simplement pas de cette manière», dit-il. 

Il a déclaré que la protection supplémentaire présentait un avantage commercial pour un petit nombre de personnes, et que cela aurait pu être résolu avec une «clause d’opt-in», de sorte que les titulaires de droits d’œuvres qui ont encore une valeur commerciale pourraient demander une prolongation.

Il a également dit que cela étend les limites d’accès ou d’utilisation de ce que l’on appelle les œuvres orphelines, celles dont le titulaire des droits n’est pas facilement atteint.

M. Geist a également accusé le gouvernement d’avoir enterré la modification en la plaçant au bas d’un projet de loi budgétaire de près de 450 pages au printemps dernier. Le gouvernement n’a pas souligné les modifications de la loi sur le droit d’auteur dans aucun de ses documents concernant ce projet de loi.

Il n’y a pas non plus eu d’annonce du gouvernement lorsque le cabinet a décidé en novembre de fixer la date d’entrée en vigueur au 30 décembre, ou quand il est entré en vigueur. Au total, le gouvernement a publié 3998 communiqués de presse en 2022 et aucun d’entre eux ne concernait les modifications apportées à la loi sur le droit d’auteur.

«Beaucoup de gens se sont littéralement réveillés au cours des deux derniers jours avec ce problème et sont choqués d’apprendre que c’est quelque chose que le Canada a planifié et a fait, car il a reçu si peu de couverture et d’attention», a conclu M. Geist.