L’alpiniste Marie-Pier Desharnais atteint le deuxième plus sommet du monde

MONTRÉAL — Aucun Québécois n’aurait foulé le deuxième plus haut sommet du monde avant elle. Marie-Pier Desharnais a réussi vendredi dernier l’ascension du K2, réputée comme l’une des plus difficiles au monde. Elle serait également une des rares femmes canadiennes à avoir gravi cette montagne de 8611 mètres située sur la frontière sino-pakistanaise. 

Avant elle, l’alpiniste franco-suisse-canadienne Sophie Lavaud avait accompli l’exploit en 2018.

L’alpiniste originaire de Victoriaville est parvenue au sommet de celle qu’on surnomme la «montagne sauvage» le 22 juillet à 5h45 après une ascension de près de 11 heures depuis le camp 3.  

De retour dans la vallée, six jours plus tard, Marie-Pier Desharnais s’est entretenue avec La Presse Canadienne.  

«Ça a été long comme expédition, mais ça a été un défi monumental, témoigne la Québécoise de 35 ans au téléphone depuis Skardu, au Pakistan. Le “summit push” a été un défi physique. C’est une pente tellement abrupte, qui chauffe les mollets, il n’y a pas d’endroits où prendre des pauses. Parfois, il y a à peine le bout des crampons qui est accroché et c’est comme ça pendant des heures et des heures.»  

L’expédition a débuté le 11 juin pour la Québécoise, le temps de régler des détails administratifs au Pakistan et de s’habituer à l’altitude. Elle a notamment effectué cinq jours en acclimatation sur le K2 avec un sherpa avant de revenir au camp de base, à 5135 mètres. Une longue attente a alors commencé, en espérant une amélioration de la météo.  

Un record et un drame 

Finalement, une fenêtre météo très favorable a permis à une centaine d’alpinistes de réussir l’ascension, le 22 juillet, dont Marie-Pier Desharnais avec l’équipe d’Elite Exped. Il s’agit d’un record, car, depuis sa première ascension en 1954 par les Italiens Achille Compagnoni et Lino Lacedelli, moins de 400 personnes avaient vaincu ce sommet. 

Une vidéo partagée par l’alpiniste népalais Mingma Sherpa sur les réseaux sociaux montre d’ailleurs un embouteillage ce jour-là dans le «Bottleneck», une section pentue de l’ascension du K2 à plus de 8200 mètres d’altitude.  

Ces réussites ont néanmoins été assombries quelques jours plus tard par le décès de deux alpinistes, le Québécois Richard Cartier et l’Australien Matt Eakin. La nouvelle a mis Marie-Pier Desharnais «sous le choc», alors qu’elle avait passé une partie de l’après-midi avec Richard Cartier, la veille de son décès, quand ils étaient au camp 3.  

«D’abord, Richard était disparu et on le cherchait, on avait toujours espoir qu’il soit en vie. Puis, la nouvelle est arrivée que son corps avait été retrouvé. Ça te remet un peu les émotions au visage, au sens où il n’y a personne qui est complètement à l’abri du danger», rapporte-t-elle.  

D’ailleurs, au-delà des capacités techniques nécessaires à l’ascension du K2, Mme Desharnais juge qu’il y a aussi un facteur de chance.  

«Ce qui a été le plus difficile ou qui m’a fait le plus peur, c’est la descente, raconte-t-elle. Il y a des chutes de roches à tout moment, parce qu’il y a d’autres grimpeurs au-dessus de toi qui en font tomber et, toi, tu te retrouves en dessous dans la pente de 60 degrés, donc c’est quasiment vertical.» 

Elle-même a reçu une roche sur la main, qu’elle a cru cassée, et a fini sa descente en rappel à une seule main.  

«C’est une roulette russe, dit-elle. Je pense que c’est pour ça que c’est une montagne aussi tragique. Tu as beau gérer les risques, tout mettre en œuvre, avoir une équipe du tonnerre, il y a quand même une part d’éléments que tu ne peux pas contrôler.» 

Selon des données compilées jusqu’en 2012 par le spécialiste de la montagne Eberhard Jurgalski, le K2 est l’un des sommets à plus de 8000 mètres les plus mortels, avec 29 % de décès. En guise de comparaison, on compte 4 % de décès pour l’Everest, selon la même source. 

En 2018, une expédition composée de Québécois avait également pris une tournure tragique avec la mort de l’alpiniste Serge Dessureault.  

Des inspirations et des femmes 

Marie-Pier Desharnais faisait partie d’une équipe guidée par l’alpiniste chevronné Nirmal «Nims» Purja, rendu célèbre notamment par le film «14 Peaks: Nothing Is Impossible», où il relate son ascension des 14 montagnes du monde culminant à plus de 8000 mètres en sept mois seulement.  

«J’ai connu Nims, qui est mon mentor, avant qu’il ne soit célèbre, durant son projet. Il lui restait trois montagnes, raconte-t-elle. On s’est lié d’amitié et j’ai commencé à faire des montagnes techniques avec lui, dont l’Ama Dablam, au Népal.» 

Elle juge que sa vie a basculé à ce moment-là, alors qu’elle a commencé à considérer l’ascension du K2 qu’elle pensait hors d’atteinte pour elle.  

«Nims arrive à voir des choses en toi, il arrive à te faire prendre conscience de ton plein potentiel, dit-elle. Une fois que tu décroches cela, ça se répercute non seulement en montagne, mais aussi sur le reste de ta vie.» 

Celle qui a survécu à un tsunami en Thaïlande en 2004 est aussi allée chercher son inspiration dans la gestion des catastrophes. Elle souligne notamment que les cours d’un de ses professeurs en géographie à l’UQÀM, Sylvain Lefebvre, ont donné un sens à sa vie.  

«Un thème qui est très présent dans ma vie, c’est la résilience: personnelle, organisationnelle dans mon travail et, évidemment, je m’en sers en montagne plus que jamais», précise celle qui travaille comme experte en gestion des catastrophes au Qatar.  

Par ailleurs, elle observe qu’avec ses 10 ans passés au Moyen-Orient dans une profession principalement composée d’hommes et sa passion pour l’alpinisme, un milieu très masculin, le thème de la femme a pris une place importante dans sa vie.  

«Mon projet actuel — Apex Woman Project — est de gravir cinq des montagnes les plus hautes et les plus difficiles de la planète où, justement, il n’y a pas eu beaucoup de femmes, explique-t-elle. Je veux que ça élève l’empreinte féminine sur ces sommets-là.» 

En sept ans dans le domaine de l’alpinisme, elle a vu des évolutions. Au K2, il s’agit de la première expédition à laquelle elle participait où il y avait plus de femmes que d’hommes.  

«Ce n’est pas parce que tu es une femme que des choses doivent être hors de portée», affirme-t-elle.  

Pour le moment, Marie-Pier Desharnais va «décanter» cette dernière ascension, mais elle indique «ne pas en avoir terminé avec l’Himalaya», en plus d’avoir des envies d’expéditions polaires en Antarctique.

Note aux lecteurs: Dans une dépêche transmise le vendredi 29 juillet, La Presse Canadienne rapporte erronément que Marie-Pier Desharnais serait le première Canadienne à atteindre le sommet du K2. Or, une alpiniste détenant une triple nationalité (suisse, française et canadienne), Sophie Lavaud, avait aussi accompli l’exploit en 2018.