La mère et les grands-parents de la fillette de Granby déposent une poursuite de 3M$

GRANBY, Qc — La mère et les grands-parents paternels de la fillette de Granby demandent des comptes aux nombreuses instances qui ont échappé le suivi de l’enfant de 7 ans, décédée dans des circonstances troublantes le 30 avril 2019.

Une avocate spécialisée en droit de la famille, Me Valérie Assouline, a déposé lundi matin au palais de justice de Granby une poursuite de plus de 3,7 millions $ contre le CIUSSS de l’Estrie, responsable de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) locale, le Centre de services scolaire Val-de-Cerfs et quatre intervenants de la DPJ, dont un chef de service.

«Quand tu vois ton enfant avec des brûlures, des bleus et que t’amènes le rapport à la DPJ (…) et qu’on nie le fait que ton enfant a des bleus, qu’on nie le fait qu’elle a des brûlures, qu’on nie le fait que cette enfant-là se fait battre, qu’elle se fait maltraiter, une enfant qui passe de 45 livres quand elle n’a même pas quatre ans à 27 livres sur son lit d’hôpital, il y a de quoi de pas normal», s’est exclamée la mère dans une déclaration très émotive en conférence de presse à Granby. La dame ne peut être identifiée, comme tous les autres intervenants au dossier en vertu d’un interdit de publication.

«Ils ne l’ont pas écoutée, elle. Ils n’ont pas regardé la vérité. Ils ont fui. Un enfant, qui aurait eu 11 ans aujourd’hui, est partie à 7 ans parce qu’un gouvernement n’a pas su faire ce qu’il devait faire», a-t-elle poursuivi.

La pire histoire depuis Aurore l’enfant martyre

Me Assouline, pour sa part, a dit croire que «c’est la pire histoire que le Québec a vue depuis les 100 dernières années. On avait Aurore l’enfant martyre et aujourd’hui on a la petite martyre de Granby.»

«Il faut qu’il y ait un après-Granby, a-t-elle ajouté. Au-delà de la profession d’avocat, il y a cette mission pour que les choses changent au Québec.» 

La fillette avait été découverte par les premiers intervenants le 29 avril dans le logement familial. Elle avait été complètement immobilisée avec du ruban adhésif qui enveloppait tout le haut de son corps, incluant la tête. Elle était décédée le lendemain, à l’hôpital, de suffocation selon le rapport d’autopsie.

Un dossier échappé

Elle avait pourtant fait l’objet de plusieurs signalements à la DPJ – qui l’avait maintenue sous la garde de son père et de la conjointe de celui-ci – et des intervenants à son école avaient également été mis au courant qu’elle subissait de la violence à la maison.

C’est pour avoir négligé de prendre en charge l’enfant malgré une situation de violence connue que la famille poursuit les instances visées.

«Le décès de la fillette de Granby était un décès qui était évitable», a fait valoir Me Assouline.

«Plusieurs personnes ont fait des signalements, dès 2014, en lien avec des signes de maltraitance. La mère et la grand-mère ont, dès le placement de l’enfant chez son père, alerté les différents intervenants», a fait valoir l’avocate, qui a fait état de signalements provenant aussi de la police, de l’école et de voisins.

La mère n’arrive toujours pas à comprendre comment le système a pu faillir à ce point: «Jamais je n’aurais pu penser qu’un enfant à 7 ans pourrait partir dans des circonstances comme celles-là avec autant d’alarmes, avec autant d’avertissements.»

La poursuite comprend un volet punitif, a expliqué Me Assouline, parce que cette affaire n’est pas un cas isolé, mais bien le résultat d’années de négligence. «Le CIUSSS de l’Estrie était bien au fait des lacunes du système, du manque de formation des intervenants, du manque d’encadrement, du manque d’effectifs, des listes d’attente inconséquentes dans un contexte d’urgence sociale où ce sont les enfants qui sont en attente de services. Ils étaient au courant, mais n’ont rien fait. Il n’y a rien qui justifie leur inaction pendant des décennies.»

L’école l’a renvoyée chez elle 

Quant au Centre de services scolaire Val-des-Cerfs, qui a expulsé l’enfant parce qu’elle présentait des difficultés de gestion au personnel, le constat n’est guère plus édifiant, affirme Me Assouline. Elle souligne que le personnel de son école a fait plusieurs signalements à la DPJ sur une période de trois ans et qu’il était au courant de la situation à la maison parce que la fillette le verbalisait.

«Ce qu’elle vivait était hors norme, hors du commun, inconcevable, innommable. Elle se faisait cogner la tête contre le mur. Elle devait prendre des douches froides ou très chaudes. Elle devait uriner par terre ou dans un petit pot dans sa chambre. Elle arrivait à l’école avec des ecchymoses sur le corps, avec du sang dans le nez.»

Et pourtant, ajoute la juriste, «la situation préconisée par les adultes qui étaient responsables de la protéger, par ceux qui ont rapporté eux-mêmes ces faits bouleversants aux intervenants de la DPJ, a été de la renvoyer faire l’école à la maison, en sachant sciemment que son milieu de vie la mettait en danger. Son seul filet de sécurité lui a été enlevé. Un mois plus tard, elle est décédée.»

«Aujourd’hui, on dépose une poursuite contre ceux qui étaient supposés la protéger et qui, malgré tous les signalements, toutes les interventions policières, ne l’ont pas protégée», a déclaré de son côté la grand-mère paternelle, présente à la conférence de presse.

«Aucun montant ne compensera la perte de notre petite-fille. Par contre, il est plus que temps que ceux qui sont chargés de protéger nos enfants aient une leçon et qu’à l’avenir, ils le fassent réellement.»

Ce décès avait bouleversé le Québec et mené à une commission d’enquête présidée par Régine Laurent, dont le rapport avait souligné à grands traits les failles du système de protection de la jeunesse.

«Cette enfant est devenue le porte-drapeau des enfants que le système échappe», a avancé Valérie Assouline.

La belle-mère et le père coupables

En décembre dernier, la belle-mère de 38 ans de l’enfant était reconnue coupable du meurtre non prémédité et de séquestration de l’enfant. Le jury n’avait mis que cinq heures à délibérer sur son cas, un temps exceptionnellement court. Elle avait été condamnée à la prison à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 13 ans par le juge Louis Dionne. Elle a porté en appel et le verdict et la peine.

Le père, quant à lui, avait plaidé coupable en décembre dernier à l’accusation moindre de séquestration, son plaidoyer menant à l’abandon de l’accusation beaucoup plus grave de négligence criminelle ayant causé la mort, qui aurait pu lui valoir l’emprisonnement à perpétuité. Le juge François Huot l’avait condamné à quatre ans de pénitencier, non sans le rabrouer sévèrement au moment de prononcer sa sentence.