La Défense nationale doit trouver des économies d’un milliard de dollars

OTTAWA — Le chef d’état-major de la Défense et plusieurs experts affirment que la réalisation d’économies de près d’un milliard de dollars dans le budget du ministère de la Défense nationale affectera les capacités des Forces armées, même si le ministre de la Défense a insisté vendredi pour dire que le budget n’était pas réduit.

Le sous-ministre Bill Matthews a déclaré aux députés du comité de la défense de la Chambre des communes que le ministère identifie des «propositions de réductions de dépenses» totalisant plus de 900 millions $ sur quatre ans, tout en essayant de minimiser l’impact sur la préparation militaire.

M. Matthews a déclaré jeudi qu’il fallait donner la priorité à ces décisions «afin qu’il y ait le moins d’impact possible, en reconnaissant qu’il y aura un impact».

Le chef d’état-major de la Défense, le général Wayne Eyre, a déclaré que les hauts responsables militaires se réunissaient pour discuter de ce que cela signifierait.

«J’ai eu une séance très difficile cet après-midi (vendredi) avec les commandants des différents services alors que nous essayons d’expliquer cela à nos gens, a déclaré M. Eyre. Il est impossible de retirer près d’un milliard de dollars du budget de la défense sans avoir d’impact.»

Pourtant, dans une déclaration écrite envoyée vendredi, le porte-parole du ministre de la Défense, Bill Blair, Daniel Minden, a déclaré: «Toute affirmation selon laquelle le Canada « réduit » ses dépenses dans la défense n’est pas exacte, car les dépenses globales dans la défense ont augmenté et continueront d’augmenter.»

Le plus récent budget fédéral prévoit que le budget du ministère s’élèvera à 39,7 milliards $ en 2026-2027, en hausse par rapport à 26,5 milliards $ pour l’exercice en cours. La majeure partie du budget des prochaines années est consacrée à des engagements de dépenses à long terme – par exemple, l’achat de 88 avions de combat F-35.

Dans le même budget, le gouvernement a annoncé son intention de réaliser des économies de plus de 15 milliards $ sur cinq ans en réduisant les coûts des services de consultation, des services professionnels et des déplacements de 15 % et les dépenses ministérielles de 3 %.

Les promesses à l’OTAN

Anita Anand, qui a quitté la Défense pour devenir présidente du Conseil du Trésor au cours de l’été, a déclaré à ses collègues qu’ils devaient commencer à prendre ces décisions sur la réduction des dépenses d’ici octobre.

Le nouveau rôle de Mme Anand a été annoncé quelques semaines seulement après qu’elle et le premier ministre Justin Trudeau ont participé au sommet de l’OTAN en Lituanie, où les alliés ont convenu de faire de l’objectif de 2 % du PIB le nouveau minimum de dépenses pour la défense, et se sont engagés à ce que 20 % de cet argent soit consacré à l’équipement.

M. Blair a déclaré jeudi au comité que le Canada devra peut-être reporter certains projets d’approvisionnement majeurs, comme la stratégie de construction navale, et se contenter pour l’instant d’équipements plus anciens.

Le budget de la défense représente environ 1,3 % du PIB du Canada. Malgré ses engagements, le gouvernement libéral n’a jamais présenté de plan pour atteindre 2 %.

David Perry, président de l’Institut canadien des affaires mondiales, a déclaré vendredi qu’il y avait un décalage entre le fait de voir Mme Anand «être la personne qui accepte de dépenser plus, pour ensuite brandir le couteau budgétaire qui rendra cela mathématiquement impossible».

M. Perry a soutenu qu’une réduction de 3 % du budget total est plus facile à réaliser qu’une réduction de 15 % du budget alloué aux services-conseils. Il a fait valoir que les contrats de ce genre en matière de défense sont uniques.

«Ce sont des choses qui couvrent l’entretien de notre flotte. Ce sont des contrats qui fournissent (…) des éléments comme des études d’ingénierie, des études architecturales et le soutien des bâtiments, la conception de navires de guerre, ce genre de choses», a-t-il expliqué.

Le bureau de M. Blair a indiqué qu’il y aurait des économies sur des éléments comme les consultations et les voyages.

Mais Philippe Lagassé, professeur à l’Université Carleton spécialisé dans la politique et l’approvisionnement en matière de défense, estime que cela ne suffira probablement pas.

«Les dépenses dans la défense augmentent lorsque l’économie se porte bien ou que les gouvernements sont prêts à accepter des déficits budgétaires assez importants. Dès que les gouvernements se lassent des déficits budgétaires ou souhaitent réduire leurs dépenses, l’armée sera nécessairement dans leur ligne de mire», a-t-il souligné.

D’autres priorités

Le ministre Blair a reconnu jeudi qu’il y avait un besoin urgent de nouveaux investissements importants dans la défense, mais a noté que le gouvernement devait équilibrer cela avec d’autres priorités, notamment des mesures en matière de logement et d’accessibilité financière.

Les Forces armées ont également d’autres priorités. Elles tentent de résoudre une crise du personnel qui constitue sa priorité absolue depuis octobre dernier, lorsque M. Eyre a ordonné l’arrêt de toutes les activités non essentielles pour se concentrer sur le recrutement et la rétention.

Jeudi, il a déclaré qu’un peu moins de 16 000 postes n’étaient pas pourvus et que 10 000 autres soldats – environ un sur dix – n’étaient pas encore formés pour prendre part aux opérations.

Ce taux de postes vacants n’a pas bougé depuis le début du printemps, malgré les efforts visant à réorganiser la formation de base et un nouveau programme qui permet aux gens de s’engager pour un an dans la marine.

M. Eyre a déclaré qu’il y avait des nouvelles positives en matière de rétention: le taux d’attrition est revenu dans les normes historiques à 7,1 %, en baisse par rapport au niveau de 9,2 % au plus fort de la pandémie.

Les membres conservateurs du comité ont exprimé leur frustration face à l’idée de réductions budgétaires.

«Des réservistes me disent qu’ils n’acquièrent pas leurs compétences dans leur métier assez rapidement, qu’ils ont des années de retard, pas des mois, a déclaré James Bezan, porte-parole du parti en matière de défense. Qu’est-ce que cela va prendre?»

Vendredi, le député conservateur John Brassard a qualifié la situation de «honte» et a accusé le gouvernement de mentir aux alliés de l’OTAN dans une déclaration sur X (anciennement Twitter).

L’ambassadeur américain au Canada, David Cohen, a dit dans une déclaration écrite qu’il ne ferait aucun commentaire sur des mesures hypothétiques, mais a noté que les deux pays se sont engagés dans un partenariat de défense.

«Les États-Unis et le Canada comprennent tous deux que la sécurité collective n’est pas gratuite: nous avons besoin de la défense et de la sécurité du 21e siècle pour relever les défis du 21e siècle», a déclaré M. Cohen.

Un porte-parole du Haut-commissariat du Royaume-Uni au Canada a également refusé de commenter les décisions budgétaires, mais a déclaré que «le Royaume-Uni reste pleinement favorable à l’engagement de l’OTAN, réaffirmé par tous les membres de l’alliance lors du sommet de Vilnius en juin».

M. Lagassé a déclaré qu’il existe déjà une perception parmi les alliés du Canada selon laquelle la politique intérieure l’emporte sur les accords et les objectifs internationaux.

«Je pense que cela va simplement renforcer les perceptions existantes selon lesquelles nous ne sommes tout simplement pas sérieux à ce sujet et que nous n’intensifierons jamais nos efforts», a-t-il soutenu.