La CSEM conteste une interprétation de l’OQLF sur «le français langue commune»

MONTRÉAL — Le plus important conseil scolaire anglophone du Québec a annoncé mercredi qu’il contesterait devant les tribunaux les règles linguistiques «strictes» qui exigent que presque toutes ses communications écrites soient aussi rédigées en français.

Joe Ortona, président de la Commission scolaire English-Montréal (CSEM), a soutenu qu’il était absurde que les employés d’un établissement anglophone soient obligés de communiquer aussi en français entre eux par écrit.

Il a ajouté que la CSEM prévoyait de déposer mercredi une requête en Cour supérieure pour obtenir un sursis dans l’application de certaines dispositions de la nouvelle loi linguistique et de la Charte de la langue française.

«Si un enseignant s’adresse aux parents au sujet d’un problème avec leur enfant, il est censé écrire [aussi] en français; si un directeur écrit à son personnel, il doit écrire [aussi] en français; si (les membres du conseil) s’écrivent à propos de quoi que ce soit – une réunion à venir, des points à l’ordre du jour –, ils sont censés le faire [aussi] en français», a déclaré M. Ortona.

Bien que l’utilisation de l’anglais – en plus du français – soit autorisée, M. Ortona soutient que ces règles obligeraient les employés à perdre du temps à rédiger des courriels dans deux langues. Par ailleurs, certains enseignants et employés de la CSEM pourraient ne pas maîtriser le français, a-t-il souligné.

«C’est une manière voilée d’entraver et d’empêcher l’usage de l’anglais au sein d’une commission scolaire, je le rappelle, anglophone», a-t-il soutenu.

«Préjudice irréparable»

M. Ortona a expliqué que la requête en Cour supérieure faisait suite à un avertissement que la CSEM a récemment reçu de l’Office québécois de la langue française concernant ses communications internes.

La CSEM souhaite plaider en Cour supérieure que ces exigences violent le droit constitutionnel à l’instruction dans la langue de la minorité, et que si elles ne sont pas immédiatement suspendues, elles causeront un préjudice irréparable au fonctionnement de la commission scolaire. 

«Nous fonctionnons en anglais et je ne pense pas que nous devrions en avoir honte, de quelque manière que ce soit, a plaidé M. Ortona. Nous sommes une commission scolaire anglophone. Nous faisons la promotion du bilinguisme et nous enseignons le français, bien sûr, mais je ne pense pas qu’il soit déraisonnable de s’attendre à ce qu’à l’interne, nous fonctionnions en anglais.»

Il existe une exception à la nouvelle loi qui autorise les conseils scolaires anglophones à utiliser seulement l’anglais dans les «communications d’ordre pédagogique». 

Mais cette exception est très limitée, a soutenu M. Ortona: elle ne s’applique pas par exemple aux communications sur le comportement d’un élève en classe, les activités parascolaires, les séances d’information ou les événements spéciaux à l’école.

La «Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français», considérée comme une «réforme de la loi 101», a été adoptée en mai 2022. La plupart de ses dispositions sont entrées en vigueur en juin dernier, notamment celle qui prévoit qu’«un organisme de l’Administration utilise la langue française de façon exemplaire».

La loi donne également à l’OQLF de larges pouvoirs de perquisition et de saisie. M. Ortona croit que la CSEM risque d’être condamnée à une amende si elle ne s’y conforme pas.

«Rien de nouveau»

Cependant, Chantal Bouchard, porte-parole de l’Office québécois de la langue française (OQLF), a précisé mercredi dans un courriel que les exigences que prévoit la Charte de la langue française concernant les communications internes et externes d’une commission scolaire anglophone n’avaient pas changé dans la nouvelle loi. «L’interprétation que fait l’Office de ces exigences n’a pas changé non plus», assure Mme Bouchard.

Les communications du conseil scolaire avec son personnel et d’autres conseils scolaires anglophones — ainsi que les communications générales avec les parents — peuvent donc contenir de l’anglais si elles contiennent également du français. Toutefois, les messages adressés directement à un parent en particulier peuvent être dans les deux langues, ou uniquement en français ou en anglais, selon la préférence du parent, indique la porte-parole de l’OQLF.

«Lorsqu’il s’agit de communications d’ordre pédagogique destinées aux membres du personnel ou aux élèves, elles peuvent se faire dans la langue d’enseignement sans avoir à utiliser en même temps le français», écrit Mme Bouchard. 

La CSEM fait partie d’une contestation constitutionnelle de certaines dispositions de la nouvelle loi linguistique québécoise. Des contestations ont également été déposées par des municipalités bilingues, un groupe d’avocats et une organisation autochtone.

Un porte-parole du ministre de la Langue française, Jean-François Roberge, a refusé de commenter, mercredi, puisque l’affaire est judiciarisée.