La Cour suprême n’entendra pas l’appel des Canadiens détenus en Syrie

OTTAWA — La Cour suprême n’entendra pas la cause de quatre Canadiens détenus en Syrie qui soutiennent qu’Ottawa a l’obligation légale de les aider à rentrer au pays.

La mère de l’un des hommes a déclaré après la décision qu’elle n’était pas prête à abandonner, mais a ajouté qu’il était difficile de garder espoir.

Ces Canadiens font partie des nombreux ressortissants étrangers détenus dans des prisons délabrées administrées dans le nord de la Syrie par les forces kurdes, qui ont repris cette région ravagée par la guerre civile au groupe armé État islamique.

Les quatre hommes demandaient à la Cour suprême d’entendre leur contestation d’une décision de la Cour d’appel fédérale, rendue en mai, qui concluait qu’Ottawa n’était pas obligé, en vertu de la loi, de les rapatrier.

Parmi eux: Jack Letts, devenu musulman dévot dès son adolescence, qui est parti en vacances en Jordanie, puis a étudié au Koweït avant de se retrouver en Syrie. L’identité des trois autres Canadiens n’est pas rendue publique.

Comme à l’habitude, le tribunal n’a donné aucune raison jeudi pour justifier son refus d’entendre l’affaire.

Dans une requête déposée au plus haut tribunal du pays, les avocats des quatre hommes ont plaidé qu’Ottawa «choisissait» les Canadiens à aider à sortir d’une situation infernale.

Ils ont soutenu que les geôliers étrangers des quatre hommes les libéreraient si le Canada en faisait la demande et facilitait leur rapatriement, comme il l’avait fait pour certaines femmes et enfants canadiens qui sont rentrés au pays.

Les quatre hommes sont arbitrairement détenus depuis plusieurs années sans inculpation ni procès, indiquaient les avocats dans leur mémoire soumis au plus haut tribunal du pays. 

«Ils sont emprisonnés dans des conditions extrêmement surpeuplées et insalubres, et au moins un Canadien est détenu avec 30 autres hommes dans une cellule construite pour six personnes. Ils manquent de nourriture et de soins médicaux adéquats et l’un des demandeurs a signalé aux représentants du gouvernement canadien qu’il avait été torturé.»

En janvier dernier, les quatre hommes avaient remporté une bataille en première instance dans leur long combat. Le juge Henry Brown, de la Cour fédérale, avait ordonné à Ottawa de demander leur rapatriement dès que raisonnablement possible et de leur fournir d’urgence des passeports ou des documents de voyage.

Le juge Brown a aussi statué que les hommes avaient le droit qu’un représentant du gouvernement fédéral se rende en Syrie pour aider à leur libération une fois que les ravisseurs auraient accepté de les confier aux autorités canadiennes.  

Le gouvernement canadien a ensuite plaidé que le juge Brown confondait à tort le droit reconnu aux citoyens par la Charte canadienne des droits et libertés d’entrer au Canada avec le droit au retour au pays, créant ainsi un nouveau droit pour les citoyens d’être ramenés chez eux par le gouvernement.

La Cour d’appel fédérale s’est rangée à cet argument, affirmant que l’interprétation du juge Brown «exige que le gouvernement du Canada prenne des mesures positives, voire risquées, y compris des mesures à l’étranger», pour faciliter le droit des hommes à entrer au Canada.

Les juges en appel ont conclu que même si le gouvernement n’était pas obligé par la Constitution ou par la loi de rapatrier ces hommes, leur décision «ne devrait pas dissuader le gouvernement du Canada de faire des efforts par lui-même pour obtenir ce résultat».

«Pas les mêmes droits que tout le monde»

Sally Lane, la mère de M. Letts, a déclaré en août que son fils «tenait à peine le coup». Elle soutenait alors que «lui et les autres ressortissants canadiens ont dû endurer ce qu’aucun être humain ne devrait jamais avoir à endurer».

Jeudi, elle a exprimé sa frustration.

«Affaires mondiales Canada ne me rencontrera pas. Mon propre député ne m’écoutera pas. Et maintenant, la Cour suprême m’a dit, ainsi qu’aux autres familles, que nous n’avons pas les mêmes droits que tout le monde», a soutenu Mme Lane dans un communiqué, diffusé par le groupe «Mettre fin à la participation du Canada à la torture».

En refusant d’entendre cette affaire, la Cour a essentiellement déclaré qu’il était acceptable que le Canada se livre à des pratiques illégales d’exil, de détention arbitraire pour une durée indéterminée et de torture, a ajouté Mme Lane.

«Nous n’abandonnons pas, mais aujourd’hui, il est difficile de garder espoir quand on dit à mon fils, aux autres hommes, ainsi qu’aux autres femmes et enfants qui restent détenus, que leur vie n’a pas d’importance.»

Les avocats des quatre hommes ont soumis à la Cour suprême qu’elle avait la possibilité de décider si le Canada avait le devoir, en vertu de la Charte, d’aider les Canadiens à l’étranger lorsqu’ils sont manifestement confrontés à des violations flagrantes des droits de la personne.

Dans son propre dossier déposé auprès de la Cour suprême, le gouvernement canadien affirmait que personne ne contestait que les hommes étaient confrontés à des conditions déplorables. Mais s’ils ne peuvent pas entrer au Canada, c’est qu’ils sont emprisonnés à l’étranger par des ravisseurs étrangers, plaidait le gouvernement.

«La Cour d’appel fédérale a appliqué des principes de droit établis et l’interprétation de la Charte à des conclusions de fait non contestées», affirme le gouvernement.

«En particulier lorsque le Canada ne participe pas à la détention d’un citoyen canadien dans un pays étranger, il ne peut y avoir aucune obligation pour le Canada, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, d’assurer sa libération et de procéder à son rapatriement.»

La décision du tribunal envoie un message dangereux selon lequel le gouvernement canadien peut simplement abandonner indéfiniment des citoyens, sans procédure régulière, dans des prisons où règnent la maladie et la mort, a déclaré Farida Deif, directrice de la portion canadienne de Human Rights Watch.

«Mais le gouvernement Trudeau n’a pas besoin d’une décision de justice pour ramener ces Canadiens chez eux, il doit simplement rassembler le courage et la volonté politique pour sauver leur vie avant qu’il ne soit trop tard», a-t-elle affirmé jeudi, dans un communiqué.

«Il est grand temps que le Canada prenne les mesures urgentes nécessaires pour rapatrier tous les citoyens canadiens encore détenus dans le nord-est de la Syrie, dans des conditions inhumaines et dégradantes, sans distinction de sexe ou d’âge. Une fois chez eux, les adultes peuvent être surveillés ou poursuivis en justice, le cas échéant.»