La CBC/Radio-Canada évite de perdre son financement, quelle sera la suite ?

OTTAWA — Au début de l’année, la CBC était confrontée à la possibilité d’être privée de son financement par un gouvernement conservateur.

Mais après que le vent politique a tourné en faveur des libéraux de Mark Carney, le radiodiffuseur public a obtenu un sursis — donnant au gouvernement libéral minoritaire une courte marge de manœuvre pour mettre en œuvre les changements qu’il proposait.

«Je crois que la victoire de M. Carney a assuré l’avenir de la CBC pour l’instant, du moins tant qu’ils seront au pouvoir», a avancé Jessica Johnson, chercheuse principale au Centre de recherche sur les médias, la technologie et la démocratie de l’Université McGill.

Elle a soutenu que la CBC serait «en sécurité pour les 18 prochains mois».

Pendant la campagne électorale, les libéraux ont promis de rendre le financement fédéral de la CBC statutaire, ce qui la rendrait plus difficile à abroger par les futurs gouvernements. Le programme du parti promettait également une augmentation initiale de 150 millions $ du financement annuel.

Le programme présentait des changements proposés au mandat du radiodiffuseur public, notamment un plan de gouvernance et des stratégies visant à renforcer les nouvelles locales, à lutter contre la désinformation et à transmettre des informations vitales en cas d’urgence.

Le ministre canadien de la Culture, Steven Guilbeault, a déclaré mercredi dans un message en ligne que le gouvernement Carney «protégera l’identité nationale du Canada en renforçant CBC/Radio-Canada».

Le gouvernement pourrait manquer de temps pour honorer cet engagement. Les libéraux sont à un cheveu de la majorité au Parlement, mais leur statut minoritaire les oblige à compter sur d’autres partis pour faire adopter des lois. Cela signifie également qu’ils pourraient se diriger vers des élections anticipées si ces partis retirent leur soutien.

L’effet Trump

Mme Johnson a mené des sondages sur l’opinion des Canadiens à l’égard de CBC/Radio-Canada. Elle a constaté que près de la moitié d’entre eux (45 %) estiment qu’il est plus important maintenant de maintenir CBC/Radio-Canada compte tenu de l’évolution des relations du Canada avec les États-Unis sous la présidence de Donald Trump.

«Cela signifie qu’il y a un changement dans le nationalisme et les infrastructures, et dans la façon dont les gens perçoivent la menace que représentent les États-Unis», a-t-elle souligné. Le groupe des Amis des médias canadiens a mené une campagne électorale pour demander aux Canadiens de voter pour sauver la CBC.

La directrice générale du groupe, Marla Boltman, a déclaré: «Nous avons évidemment reçu un petit coup de pouce de M. Trump, avec ses droits de douane et ses remarques virulentes sur le fait que le Canada est le 51e État.»

Monica Auer, directrice générale du Forum pour la recherche et les politiques en communications, a déclaré: «Ce n’est pas tant que la radiodiffusion en particulier est essentielle à la souveraineté canadienne, mais plutôt que cela a mis en évidence le fait que la souveraineté du Canada nécessite un large éventail d’outils pour être maintenue.»

Mme Boltman a indiqué qu’il y aura toujours des gens souhaitant couper le financement du radiodiffuseur public.

«Ce que les conservateurs ont tenté de faire lors des dernières élections a été la plus grande menace que nous ayons vue contre la CBC, je crois, de notre vivant», a-t-elle soutenu.

«Bien que je m’attende à ce que ces voix persistent, je pense aussi que nous sommes à un moment de l’histoire où nous avons besoin que ce gouvernement travaille ensemble pour protéger notre nation dans son entièreté», a-t-elle ajouté.

Un changement nécessaire

Peter Menzies, chercheur principal à l’Institut Macdonald-Laurier, a souligné que le chef conservateur Pierre Poilievre est le troisième chef de parti consécutif à remporter la direction du parti grâce à un discours sur le définancement de la CBC, après Erin O’Toole et Andrew Scheer.

«L’antipathie des conservateurs et de leurs partisans remonte à loin, mais elle est particulièrement visible depuis que la CBC a poursuivi les conservateurs en justice à la fin de la campagne de 2019 pour utilisation de leur contenu en violation des droits d’auteur», a expliqué M. Menzies.

Il a ajouté que cette décision «a créé une animosité inoubliable et impardonnable dans cette relation».

«Il est probablement dans l’intérêt des deux partis, à ce stade, de s’asseoir et de discuter des moyens de remédier à cette situation», a-t-il continué.

M. Menzies a déclaré que les partisans conservateurs resteront probablement hostiles à moins que la CBC ne fasse «quelques changements, des gestes honnêtes, pour être plus inclusive de leurs points de vue». Compte tenu des sentiments de nombreux conservateurs envers le radiodiffuseur, une tentative du gouvernement libéral d’obliger la CBC à lutter contre la désinformation pourrait «absolument» se retourner contre elle, a prévenu M. Menzies.

«Si vous voulez lutter contre la désinformation, il suffit d’être bon dans ce que vous faites (…) et de renforcer la confiance du public», a-t-il affirmé.

S’adressant aux journalistes un jour après son assermentation, le ministre Guilbeault a déclaré que le gouvernement examinerait également les propositions présentées par sa prédécesseure, Pascale St-Onge. Celles-ci comprenaient l’interdiction pour CBC de diffuser des publicités pendant les bulletins de nouvelles et de facturer des frais d’abonnement pour des produits numériques comme CBC Gem.

M. Guilbeault n’a pas précisé s’il aborderait la question des publicités à Radio-Canada. Il a laissé entendre que son plan intégrerait certaines des propositions de Mme St-Onge, mais pas toutes.

Dans un message publié en ligne plus tard dans la journée, il a salué la décision du conseil d’administration de la CBC de cesser de verser des primes individuelles aux employés. Cette mesure a mis fin à une pratique qui était devenue la cible des attaques des conservateurs contre le radiodiffuseur public, qui avait versé des millions de dollars en primes après avoir supprimé des centaines d’emplois.

Mme Johnson a affirmé que la promesse de rendre le financement de la CBC obligatoire est très importante, car son budget est actuellement présenté au Parlement dans le cadre du budget global, et les députés doivent le voter.

«Et cela signifie qu’il sera toujours vulnérable au contexte actuel, ou aux autres dépenses du gouvernement cette année-là», a-t-elle expliqué.

Mme Johnson a soutenu que le plan présenté par M. Carney pour la CBC était «fiscalement responsable».

Elle a souligné que le premier ministre avait fait campagne sur l’économie. «Je pense que les propositions de son parti pour la CBC ne sont pas radicales. Elles augmentent le financement de 150 millions $, mais ne le doublent pas», a-t-elle soutenu.

«Pour moi, cela maintient essentiellement la CBC dans sa forme actuelle.»