La bande dessinée traite de plus en plus du réel, et humanise des enjeux complexes

MONTRÉAL — La bande dessinée traite de sujets beaucoup plus variés que les histoires de deux amis gaulois ou d’un célèbre reporter belge : depuis les dernières années, ce média sort de plus en plus de la fiction pour se tourner vers la réalité, tout en humanisant des enjeux complexes, indique une chercheuse. 

Ces enjeux ont été examinés cette semaine lors du colloque «Par-delà les frontières», organisé par le Festival BD de Montréal, en collaboration avec le Centre de recherches interdisciplinaires en études montréalaises (CRIEM). 

De jeudi à samedi, plusieurs artisans de la bande dessinée et des chercheurs se sont notamment exprimés sur les liens de la BD avec les frontières géopolitiques, les frontières entre les médias, les frontières entre la BD et le monde de la recherche, mais aussi les frontières formelles qui balisent la création de bandes dessinées.

Anna Giaufret, professeure adjointe du Département de langues et cultures modernes de l’Université de Gênes, en Italie, était la directrice du comité scientifique du colloque, qui s’est tenu à Montréal. 

«La bande dessinée, il y a beaucoup de gens qui pensent que c’est un genre, mais en fait, c’est un média qui peut parler de toutes sortes de sujets, qui peut aborder toutes sortes de thèmes, et avec des modalités très différentes», affirme Mme Giaufret, en entrevue. 

Elle explique que la «bande dessinée qui s’occupe de la réalité» ne date pas d’hier. Certaines des œuvres du journaliste Joe Sacco ont été publiées dans les années 1990, par exemple. 

Toutefois, «on a tous un peu la sensation que ce genre de la bande dessinée (…) est en train de prendre de l’ampleur dans les dernières années. Et même qu’aujourd’hui, on assiste à des projets communs de bédéistes et de chercheurs, donc ce n’est pas seulement une transposition de l’œuvre d’une recherche en bande dessinée, mais c’est aussi un travail commun de la part du bédéiste avec le chercheur», indique Mme Giaufret. 

«On assiste à de nouvelles formes de réalisation», résume-t-elle. 

Une plus grande humanité par la BD de reportage

La professeure indique que la BD de reportage permet de représenter des réalités qui peuvent être difficiles à rapporter au moyen d’autres médias. 

«Le dessinateur a souvent accès à des terrains délicats, auquel, par exemple, un réalisateur de cinéma ou quelqu’un qui se présenterait avec un appareil photo ou une caméra n’aurait pas forcément accès», détaille Mme Giaufret.

Elle ajoute que la BD de reportage permet aussi d’humaniser des enjeux complexes. Une conférence du colloque a d’ailleurs abordé à ce sujet la BD «Humains : la Roya est un fleuve», qui traite des migrants arrivant d’Italie qui souhaitent entrer en France par la vallée de la Roya, au sud du pays. 

«La bande dessinée, elle a cet effet d’extraire l’individu d’une masse qui est presque toujours stigmatisée par les médias et les instances politiques en France et en Italie, dans ce cas», explique Mme Giaufret. 

Pour ce faire, la bande dessinée raconte les histoires personnelles d’individus, en mettant l’accent sur leurs visages, certaines parties de leurs corps, comme leurs mains, ainsi que sur certains de leurs objets personnels. 

«La bande dessinée, elle a cette capacité aussi de nous faire pénétrer vraiment dans le vécu des personnes, dans leur mémoire. Tout ça devient très concret, car nous avons un dessin, nous avons un visage que nous pouvons regarder, qui regarde le lecteur dans les yeux», dit-elle. 

De plus, les auteurs de BD reportages, comme le Québécois Guy Delisle, se mettent souvent en scène dans leur œuvre, «ce qui donne aussi un aspect de réflexivité et d’humanité au travail de la BD reportage», selon Mme Giaufret.