Justin Trudeau veut rester pour finir le travail et protéger les acquis progressistes

OTTAWA — Le premier ministre Justin Trudeau ira peut-être faire «une marche dans la neige» cet hiver, mais il n’envisage pas d’en profiter pour réfléchir à son avenir politique.

Il n’y a également aucun signe que le chef libéral sera expulsé de l’intérieur. Malgré un fort vent de changement qui souffle autour du premier ministre et de son gouvernement minoritaire, de nombreux initiés et stratèges affirment qu’étant donné que M. Trudeau a sauvé le parti il y a huit ans, les libéraux le maintiendront à leur tête aussi longtemps qu’il le voudra.

Justin Trudeau, qui aura 52 ans le jour de Noël, a été interrogé des dizaines, voire des centaines de fois sur son avenir, et il a clairement indiqué qu’il n’irait nulle part. Dans une entrevue de fin d’année avec La Presse Canadienne, il a précisé les raisons de cette décision.

«Vous ne pouvez pas croire tout ce en quoi je crois et ne pas vouloir être là pour mener ce combat, a déclaré le premier ministre lundi. Parce que ce combat est tellement centré sur tout ce pour quoi je me bats depuis le premier jour.» 

M. Trudeau croit en fait que tout ce qu’il a tenté de construire est désormais menacé. Il se sent profondément responsable de tenir les promesses qu’il a faites, en particulier aux jeunes, sur le changement climatique, la réconciliation avec les Autochtones, les droits de la personne et la création d’emplois.

«J’ai fait la promesse à tout un groupe de nouveaux électeurs en 2015 que s’ils se mobilisaient et soutenaient ce que nous faisions (…) nous rendrions le monde meilleur», a-t-il déclaré.

«Eh bien, ces jeunes ont maintenant la vingtaine, ces gens qui ont voté pour moi pour la toute première fois, et ils ont du mal à se payer un logement. Ils sont poussés hors du centre de nos plus grandes villes», a-t-il poursuivi.

Ces gens sont également «inquiets du recul des droits», a-t-il déclaré, notamment du droit à l’avortement aux États-Unis. «Ils se sentent plus anxieux maintenant à propos de cette promesse du Canada que j’ai défendue et que j’ai promis de tenir. Je me sens responsable envers ces jeunes. Moi personnellement. Et je sais qu’il y a tellement plus à faire pour moi, et je vais le faire.»

Serein, mais combatif

Ce fut une année tumultueuse pour le premier ministre, professionnellement — et personnellement, avec sa séparation d’avec Sophie Grégoire Trudeau, son épouse depuis 18 ans, qu’ils ont annoncée publiquement début août. Ils vivent désormais séparément et partagent la garde de leurs trois enfants, Xavier, 16 ans, Ella-Grace, 14 ans, et Hadrien, 9 ans.

Mais même avec cette situation qui plane sur lui et les sondages suggérant que le chef conservateur Pierre Poilievre caracole dans les sondages dans chaque province et territoire, sauf au Québec, M. Trudeau se présente comme un homme serein et pourtant prêt pour un match de boxe déjà bien entamé.

«Poilievre qualifie son approche de bon sens: c’est absolument absurde!», déclarait le chef libéral mardi soir dans un discours passionné lors de la réception des Fêtes organisée par le caucus. 

Quelques milliers de militants libéraux ont applaudi avec enthousiasme.

Beaucoup de gens qui connaissent bien M. Trudeau soutiennent que cet homme est plus fort dans l’adversité. «Il est plus performant lorsqu’un défi l’attend», a déclaré Zita Astravas, qui a été une conseillère clé de M. Trudeau au cours des huit dernières années et qui est maintenant vice-présidente de Wellington Advocacy.

M. Trudeau n’a jamais semblé être le favori d’aucune des trois élections fédérales qu’il a remportées. Il s’est présenté à la campagne de 2015 en tant que chef d’un parti en troisième position et il a fini par former un gouvernement majoritaire.

En 2019, même si les libéraux étaient en tête dans la plupart des sondages, une série d’articles dans les médias révélant que M. Trudeau avait porté le «black face» à plusieurs reprises avant d’entrer en politique a freiné dangereusement sa réélection. Les libéraux ont dû former un gouvernement minoritaire.

Deux ans plus tard, lors d’élections anticipées dans l’espoir d’obtenir un mandat majoritaire, les libéraux ont souvent été à la traîne des conservateurs dans les sondages, alors que régnaient les divisions sur les politiques liées à la COVID-19. M. Trudeau a remporté une deuxième victoire minoritaire en 2021, aidé en partie par les faux pas du chef conservateur de l’époque, Erin O’Toole, en matière de politique sur les armes à feu et les vaccins.

Mais les choses semblent différentes cette fois-ci.

Poilievre, un adversaire redoutable 

Les libéraux ont tellement chuté dans les sondages depuis l’été qu’il semble qu’une élection tenue aujourd’hui serait désastreuse pour les rouges. 

Une légère hausse des appuis dans un sondage Abacus Data cette semaine a apporté au parti sa première bonne nouvelle depuis peut-être un an, mais ce sondage le place encore 10 points derrière les conservateurs à l’échelle nationale. Les conservateurs dominent dans toutes les provinces sauf au Québec, où le Bloc est premier devant les libéraux.

Pierre Poilievre est un adversaire redoutable qui a uni les conservateurs d’une manière qu’aucun des deux précédents dirigeants de son parti n’avait pu faire. Il a également un talent pour transformer des questions complexes en simples slogans, comme «ramenons le gros bon sens» ou «le Canada est brisé».

Même M. Trudeau reconnaît que cette approche fonctionne, bien qu’il insiste sur le fait qu’il s’agit d’une manière cynique et superficielle de convaincre les Canadiens.

«Les gens sont anxieux et inquiets, et il est très facile d’amplifier leurs peurs et leurs angoisses et de ne proposer aucune solution», a-t-il déclaré.

Un facteur encore plus important est peut-être le désir de changement après une longue période sous la gouverne d’un même premier ministre. Sa popularité personnelle a autrefois fait monter le parti, mais aujourd’hui, ses chiffres de désapprobation le font baisser.

Un sondage Léger du mois dernier a révélé que la moitié des personnes interrogées souhaitaient que M. Trudeau se retire avant les prochaines élections. Alors que le coût de la vie, le logement et la dette publique figurent en tête des raisons pour lesquelles les gens souhaitent son départ, un répondant sur cinq a déclaré qu’il souhaitait que M. Trudeau parte tout simplement parce qu’il est «lassé par lui».

«C’est une sorte de truisme à travers le monde, a déclaré Kevin Bosch, un libéral de longue date qui est maintenant directeur associé de la société de stratégie Sandstone Group. Les gens se lassent de votre visage au bout d’un moment.»

Seuls deux premiers ministres fédéraux ont remporté quatre élections consécutives. Sir John A. Macdonald a remporté en 1891 une sixième élection – et sa quatrième consécutive. Wilfrid Laurier a remporté sa quatrième campagne consécutive en 1908.

Le dernier premier ministre libéral en selle très longtemps a remporté trois gouvernements majoritaires consécutifs et en aurait probablement remporté un quatrième, mais il n’en a jamais eu l’occasion. Jean Chrétien s’est fait montrer la porte par des gens de son propre parti. La soi-disant «guerre civile libérale» qui a vu les partisans de Paul Martin réussir à pousser M. Chrétien dans les orties a laissé des blessures si profondes qu’il a fallu plus d’une décennie aux libéraux pour s’en remettre.

Des aspirants 

Ce souvenir pèse lourd sur la politique libérale d’aujourd’hui; plusieurs libéraux affirment qu’on ne les y reprendra plus cette fois-ci.

«Je suis un libéral plutôt branché sur le parti et je n’ai entendu aucun courant susceptible de lui montrer la porte», a déclaré M. Bosch, soulignant que les libéraux restent reconnaissants envers M. Trudeau d’avoir redonné vie au parti après sa pire performance de l’histoire en 2011.

De nombreux noms circulent comme successeur possible de M. Trudeau. François-Philippe Champagne, le fougueux ministre de l’Industrie, se monte depuis des mois une équipe discrète et est considéré comme l’un des premiers favoris.

Il en va de même pour la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, qui est considérée comme un atout majeur pour l’organisation au Québec. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, qui peut s’attribuer le mérite de la stratégie d’approvisionnement réussie du Canada pendant la pandémie de COVID-19, est aussi considérée comme une aspirante.

L’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney n’a pas nié les rumeurs constantes selon lesquelles il serait intéressé par le poste.

Et même si la ministre des Finances Chrystia Freeland a récemment été moins en vue dans les rumeurs sur le leadership, elle ne s’est pas exclue non plus.

Les noms des ministres considérés comme les meilleurs communicateurs du parti – les ministres du Logement, Sean Fraser, de l’Immigration, Marc Miller, du Travail, Seamus O’Regan, et de la Sécurité publique, Dominic LeBlanc – sont également évoqués.

Mais rien n’indique que l’un de ces aspirants essaie de pousser M. Trudeau vers la sortie avant qu’il ne soit prêt à partir de lui-même.

«Les Canadiens sont rassurés par un leader qu’ils connaissent», a déclaré M. Champagne en entrevue cette semaine.

Un expert en communication

Ce n’est pas qu’il n’y ait pas de libéraux en quête de changement. Le sénateur Percy Downe, qui siégeait au caucus libéral jusqu’à ce que M. Trudeau en exclue les sénateurs en 2014, a déclaré en novembre qu’il était temps de discuter de succession.

John Manley, qui a été ministre des Finances de l’ère Chrétien, a déclaré en septembre qu’il était temps pour M. Trudeau de partir.

Mais Mme Astravas croit que la plupart des libéraux se préparent à soutenir M. Trudeau lors de la prochaine campagne électorale.

Des efforts sont déployés pour mieux communiquer les plans économiques du gouvernement, avec l’embauche d’un expert en communications externe pour la première fois depuis l’élection de M. Trudeau.

Max Valiquette arrive à titre de directeur des communications au Cabinet du premier ministre avec un quart de siècle d’expérience en marketing et en publicité. Sa spécialité est le marketing auprès des jeunes.

Et Jeremy Broadhurst, qui a dirigé la campagne de 2019, est récemment revenu au parti après avoir occupé un rôle consultatif au sein du cabinet du premier ministre, pour mettre en forme le prochain plan de campagne.

Avec un Parlement minoritaire, les prochaines élections pourraient en théorie avoir lieu à tout moment. Mais l’entente de soutien et de confiance que les libéraux ont conclue avec les néo-démocrates en mars 2022 pourrait tenir jusqu’en 2025, et M. Trudeau a déclaré qu’il ne voyait aucune raison pour qu’il n’en soit pas ainsi. 

La prochaine campagne, insiste-t-il, suivra le calendrier des élections à date fixe et aura lieu à l’automne 2025. «Je pense qu’il est vraiment très important que les progressistes continuent d’être capables de démontrer que nous pouvons accomplir de grandes choses», a-t-il déclaré cette semaine.

L’influence des néo-démocrates a poussé les libéraux à introduire un programme national de soins dentaires et même si l’assurance-médicaments est loin d’être conclue, le NPD a réussi à le maintenir à l’ordre du jour.

L’accord a également poussé les libéraux à agir plus rapidement sur une série d’autres mesures, notamment un autre supplément au remboursement de la TPS et des congés de maladie payés protégés par la loi.

Riposte contre Poilievre

Certains murmurent dans les cercles libéraux que M. Trudeau n’a pas riposté assez tôt ou assez fort à M. Poilievre, alors que les conservateurs poursuivent leurs attaques à grande échelle contre les politiques du gouvernement et contre le premier ministre lui-même.

Mme Astravas a dit voir des signes clairs que le gouvernement «se concentre vraiment sur un message d’abordabilité», alors que les prix des logements et le coût de la vie en général restent le problème crucial pour les Canadiens.

Au cours des dernières semaines, y compris lors de cette période des Fêtes, des signes plus visibles des attaques que les libéraux ont l’intention de perpétrer sont apparus.

Et M. Trudeau semble avoir bon espoir que les jeunes qui ont dérivé vers le parti de M. Poilievre cette année n’y resteront pas. «Il est tout à fait compréhensible que les gens soient bouleversés, frustrés, inquiets et préoccupés pour leur avenir en ce moment, car il y a de nombreuses raisons de s’inquiéter, a-t-il admis. 

«En même temps, je sais que nous avons ces solutions. Nous avons construit ces solutions. Et il est plus important de maintenir ces progrès en ce moment, de redoubler d’efforts sur ces choses.»

Il reconnaît que les problèmes de logement ne seront pas résolus en quelques mois. Il a déclaré que la stratégie nationale sur le logement de 2017 proposée par les libéraux était le «bon plan» pour les problèmes qui existaient à l’époque, mais a admis qu’elle ne les résolvait pas maintenant.

Il a déclaré que les politiques qu’il avait promises et qui sont actuellement mises en œuvre vont fonctionner.

«À ces gens, à ces jeunes qui ne sont plus si jeunes, et à ces jeunes qui arrivent et à qui j’ai fait une promesse, je vais tenir mes promesses», a-t-il déclaré.