Indemnisations: ententes de confidentialités exigées par des compagnies aériennes

MONTRÉAL — Les grandes compagnies aériennes canadiennes demandent à certains de leurs passagers qui veulent être indemnisés pour des retards ou des annulations de signer des ententes de non-divulgation s’ils veulent obtenir leur argent.

Les passagers qui intentent des poursuites après un important retard ou une annulation de vol se font souvent offrir de l’argent. Ce prétendu geste de bonne volonté a cependant un hic: le passager doit signer une entente de confidentialité et abandonner sa poursuite.

La Presse Canadienne a contacté plus de 20 clients de compagnies aériennes canadiennes qui ont eu à subir ce scénario. Certains ont rejeté l’offre, d’autres l’ont acceptée. Il semble que le montant le plus élevé atteignait un millier de dollars.

Par exemple, Colleen Dafoe devait partir en décembre 2022 pour la République dominicaine en compagnie de son mari et de sa fille afin de fêter son 50e anniversaire, mais le vol a été annulé par WestJet.

La compagnie leur a proposé de partir plus de 10 jours plus tard, bien après les dates de congé du couple, raconte-t-elle. Mme Dafoe a plutôt poursuivi WestJet devant un tribunal des petites créances. Un avocat de l’entreprise leur a alors offert un remboursement complet des billets à une seule condition: signer une entente de non-divulgation.

«Mon mari et moi avons tergiversé. Une partie de nous voulait que nous tenions bon et refusions cette clause de confidentialité parce que les compagnies aériennes ne devraient pas faire taire les gens quand elles ne respectent pas les règles», dit Mme Dafoe.

Toutefois, le couple a fini par accepter l’entente qui lui interdit de révéler le montant qu’il a obtenu.

WestJet dit «ne pas commenter publiquement les ententes de non-divulgation, peu importe la cause ou les circonstances».

Son cas semble s’inscrire dans un schéma déployé par les deux principales compagnies aériennes canadiennes, WetJet et Air Canada, qui offrent initialement des bons allant de 150 $ et 300 $ aux clients qui se plaignent. S’ils refusent l’offre et vont devant les tribunaux, les compagnies acceptent de les rembourser intégralement ou peuvent même leur offrir plus d’argent si une clause de non-divulgation est ajoutée à l’entente.

Air Canada affirme que ces clauses de confidentialités sont courantes pour régler un litige. Elle dit payer des indemnités lorsque le client les mérite.

«Ces clauses sont conçues pour protéger l’intégrité du processus de négociation parce que chaque cas est différent. On ne peut pas comparer directement les règlements entre eux», écrit un porte-parole de l’entreprise, Peter Fitzpatrick, dans un courriel.

Des défenseurs des droits des consommateurs rejettent l’idée qu’une entente de non-divulgation est chose commune.

Selon Sylvie De Bellefeuille, conseillère budgétaire et juridique chez Option consommateurs, les compagnies aériennes veulent principalement supprimer les réactions défavorables, tant sur internet que devant les tribunaux.

«Elles ne veulent pas créer des précédents. Elles ne veulent pas lire sur les réseaux sociaux qu’une personne a conclu une entente de 500 $ avec Air Canada», mentionne-t-elle.

Parfois, les règlements sont inférieurs aux montants réclamés. Plusieurs clients ne savent pas qu’ils peuvent refuser une première offre, indique John Lawford, directeur général du Centre pour la défense de l’intérêt public.

«Ces plus fortes compagnies emploient les grands moyens, déplore-t-il. C’est scandaleux, c’est mesquin, c’est être mauvais joueur. Les montants en jeu ne sont pourtant pas élevés. Elles veulent museler les critiques. On impose le silence sur ce qui pourrait démontrer d’autres problèmes au sein des compagnies aériennes.»

D’un point de vue strictement d’affaire, les compagnies aériennes agissent raisonnablement en vertu des règles actuelles, convient Gabor Lukacs, président des Droits des voyageurs. Il souligne que ces clauses empêchent la prolifération des causes devant les tribunaux.

«D’un point de vue économique, elles font le bon choix. Les compagnies aériennes ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles optent simplement pour les stratégies optimales dans un jeu où les dés sont pipés contre les passagers.»

En vertu du Règlement sur la protection des passagers aériens, les compagnies aériennes sont tenues de fournir aux passagers soit un remboursement, soit une nouvelle réservation, au choix du passager, en cas d’annulation de vol ou de retard prolongé attribuable à une situation indépendante de la volonté de la compagnie aérienne.

En date du 5 décembre, quelque 61 000 plaintes étaient en souffrance devant l’Office des transports du Canada, qui supervise le programme. Plusieurs passagers préfèrent éviter de passer par ce processus — qui ne se met en place qu’après le rejet d’une plainte par la compagnie aérienne — à cause de l’attente qui peut atteindre deux ans dans certains cas.

Pour accélérer le processus et convaincre les passagers à transiger par les autorités réglementaires plutôt que devant les tribunaux, l’Office a créé des postes «d’agent de règlement des plaintes». Une cinquantaine de personnes ont été engagées. Leur formation s’est amorcée à la mi-août. L’Office prévoit embaucher 50 autres personnes l’an prochain.

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