Google évoque une possible suspension des liens vers des contenus journalistiques

OTTAWA — Google taille en pièces le projet de réglementation d’Ottawa qui précise la portée de la Loi sur les nouvelles en ligne. Dans son document soumis au fédéral durant des consultations, l’entreprise évoque qu’elle pourrait suspendrede son moteur de recherche tout lien vers du contenu journalistique canadien.

Le «géant du web» ne va pas jusqu’à affirmer avec certitude qu’il mettra à exécution sa menace de fermer définitivement le robinet des nouvelles dès l’entrée en vigueur de la loi C-18, prévue en décembre.

«Nous cherchons une issue qui peut éviter ça», a dit vendredi un représentant de Google au cours d’une séance d’information technique destinée aux journalistes, ajoutant attendre de prendre connaissance de la réglementation finale.

Les chances qu’un retrait complet des nouvelles soit évité s’amenuisent toutefois, peut-on comprendre des propos tenus par l’entreprise, puisque celle-ci juge que des «problèmes structurels critiques du projet de loi C-18» n’ont pas été réglés par la réglementation proposée.

Le gouvernement fédéral, quand il a présenté en septembre son projet de réglementation, cherchait pourtant à répondre aux préoccupations et demandes de Google.

Or, au terme d’une consultation de 30 jours sur le sujet, l’entreprise a exprimé son insatisfaction: d’abord dans une déclaration envoyée aux médias dès lundi, puis vendredi dans les documents de la consultation rendus publics.

«Bien que le règlement cherche à  »clarifier l’application de la loi », il crée malheureusement davantage d’incertitudes en tentant de transformer le modèle de négociation obligatoire prévu par la loi en un modèle d’imposition», peut-on lire.

«Le pire des deux mondes»

Non seulement Google estime que «le règlement ne parvient (…) pas à corriger» ce qu’il voit comme des lacunes fondamentales à C-18, mais il croit aussi que celui-ci les «envenime même dans certains cas».

«Le résultat de cet exercice est un modèle hybride qui représente le pire des deux mondes», a-t-on également écrit.

Selon le «géant du web», la feuille de route d’Ottawa revient à «impos(er) les obligations d’une taxe sans offrir de certitude et (à) demand(er) à Google d’absorber toutes les responsabilités et les coûts associés à la négociation des accords et au versement des fonds, sans que l’entreprise dispose d’une marge de manœuvre pour prendre de véritables arrangements qui visaient à répondre à ses préoccupations».

La loi C-18 vise à forcer les géants du numérique à conclure des ententes d’indemnisation avec les médias d’information pour le partage de leur contenu.

Le projet de réglementation est venu préciser que toute plateforme ayant un chiffre d’affaires d’au moins un milliard de dollars canadiens par année et comptant minimalement 20 millions d’utilisateurs au Canada chaque mois sera soumise à la loi.

Ottawa s’attend à ce que la législation s’applique à Meta, la société mère de Facebook, et Google – à condition qu’elles permettent le partage de nouvelles.

Les plateformes qui ne permettront pas pareil partage échapperont aux dispositions de la loi. 

Meta mène déjà un blocage depuis août pour les utilisateurs canadiens de ses plateformes. Google a menacé de faire de même, mais n’est pas passé à l’action pour l’instant, sauf temporairement, au printemps dernier, pour mener des «tests».

Dans ses documents publiés vendredi, le géant du numérique ne tranche pas, bien qu’un retrait définitif des nouvelles semble de plus en plus probable.

Même dans le scénario où l’entreprise décidait de renoncer à un blocage complet et qu’elle serait donc assujettie à la loi C-18, Google évoque une possible suspension de liens.

L’entreprise fait cette mention dans un passage critiquant les échéanciers prévus dans la loi et la réglementation. Plus précisément, des délais sont prévus pour qu’une plateforme soit exemptée d’un cadre de négociation obligatoire qui, lui, comporte aussi ses propres échéanciers. Pour être exempté, un «géant du web» doit conclure des ententes volontairement avec un «éventail» de joueurs, y compris des médias locaux.

Google estime qu’il pourrait se retrouver dans une situation où sa demande d’exemption est en cours de traitement devant le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) en même temps qu’il est engagé dans un processus de négociation obligatoire.

«Le problème d’échéancier demeure, ce qui pourrait mettre Google dans une position où elle devrait suspendre les liens vers les contenus de nouvelles pendant le processus d’obtention d’une exemption», fait-on valoir.

La contribution exacte que Google pourrait devoir verser aux médias sera établie en fonction d’une formule qui pourrait encore être modifiée.

Selon la proposition fédérale actuelle, la compensation sera établie en fonction du montant des recettes globales de la compagnie multiplié par la part canadienne du PIB mondial, puis multiplié par 4 %.

Google qualifie ce taux de «chiffre arbitraire qui surestime la valeur commerciale des liens portant sur l’actualité».

Un plafond de 100 millions $

Selon les estimations du gouvernement, le géant du numérique pourrait devoir verser 172 millions $ par année. Google conteste vigoureusement la validité de ce montant.

L’entreprise juge que le gouvernement a «gonflé» ses estimations puisqu’en décembre, un sous-ministre adjoint de Patrimoine canadien, Thomas Owen Ripley, a plutôt dit qu’Ottawa s’attendait à un impact d’environ 150 millions $. Cette précédente estimation incluait aussi la contribution éventuelle de Meta.

Durant la séance d’information technique de vendredi, un représentant de Google a affirmé qu’Ottawa lui a indiqué qu’il «ferait du sens» que le géant du numérique contribue, au maximum, aux deux tiers des quelque 150 millions $, ce qui équivaut à 100 millions $.

«Par conséquent, c’est le genre de fourchette que nous regardons. (…) C’est un montant dont nous parlons», a-t-on soutenu.

Appelée à commenter les déclarations de l’entreprise, la ministre du Patrimoine, Pascale St-Onge, a assuréque le fédéral continuera «de communiquer avec ceux qui ont des questions ou des préoccupations, y compris les géants du web».

«Nous gardons le cap afin de favoriser la création d’accords commerciaux équitables entre les géants du web et les médias d’informations», a-t-elle soutenu par écrit.

Plus tôt cette semaine, elle avait dit avoir «encore confiance» de trouver un terrain d’entente avec Google même si l’entreprise du numérique avait déjà exprimé son insatisfaction.