Fady Dagher entrevoit un virage majeur au SPVM qu’il espère voir s’étendre au Québec

MONTRÉAL — «Fady représente l’avenir de la police.»

C’est en plaçant ainsi la barre aussi haute que la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a présenté celui qui sera vraisemblablement le prochain directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Fady Dagher.

Bien que sa nomination reste à être officiellement entérinée par le conseil municipal et le ministère de la Sécurité publique, ce n’est qu’une question de formalité avant que le directeur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) traverse le fleuve et change de chaise dans ce qui s’annonce comme une véritable révolution au SPVM.

Une révolution que Fady Dagher, qui ne manque ni d’ambition ni d’audace, voit s’étendre à travers la province: «Cette nomination, je ne la vois pas uniquement comme territoriale. Je la vois plutôt provinciale, Grand Montréal et les autres corps de police (…) Les problématiques qu’on peut avoir à Longueuil, à Laval, à Québec ou à Montréal se ressemblent toutes.»

Le rapprochement nécessaire 

Le cœur de sa démarche repose sur le rapprochement entre policiers et communauté. «Fady a démontré sa capacité à renforcer la confiance entre les policiers et policières et les citoyens et à rassembler tout le monde», a fait valoir la mairesse.

Les initiatives lancées par M. Dagher à Longueuil ne sont peut-être pas adaptées à Montréal, où il n’entend pas faire un copié-collé, selon son expression. Mais la philosophie qui sous-tend son action sera la même. «L’esprit de l’approche, c’est ça qui est important. C’est ça qui va avoir lieu. On a besoin de se rapprocher de la communauté, comprendre, saisir les enjeux de la population pour mieux les servir.» 

Chasser plutôt que pêcher

À ceux qui douteraient de sa capacité à agir fermement, il réplique qu’il s’agit d’une question d’équilibre et que son approche à Longueuil l’a démontré: «Depuis six ans, on n’a jamais fait, jamais dans l’histoire du SPAL, autant de perquisitions de stupéfiants et d’arrestations.» Ses futurs employés montréalais «n’ont rien à craindre» de ce côté. 

«Il y a des moments où il faut être coercitif, mais il y a des moments aussi qu’il faut faire de la prévention et travailler en amont, parce que si on fait uniquement de la répression, dans 10 ans, dans 15 ans on sera au même point», explique-t-il. Par ailleurs, côté répression, il entend accentuer les efforts en matière de renseignement criminel: «Je ne veux pas qu’on aille à la pêche. Je veux qu’on aille à la chasse.»

Le lourd fardeau social

Il souligne aussi l’importance de s’appuyer sur d’autres ressources en travail social, en santé mentale et ainsi de suite, comme il a réussi à le faire à Longueuil, rappelant que l’on en demande beaucoup aux policiers: «C’est incroyable comment le 9-1-1 est rendu un fourre-tout. On reçoit toutes sortes d’appels et on envoie qui? Un policier. Le policier, ce n’est pas un magicien. Il arrive en quelques secondes, en quelques minutes et il doit faire des miracles.»

«Nos policiers ne sont pas outillés et ce n’est pas à eux de résoudre des problématiques de la société au complet, poursuit-il. Si 75 % à 80 % de mes appels sont non criminels et pourtant j’y vais, c’est quoi la réponse? Est-ce que ça doit être une réponse sécuritaire ou une réponse sociale?»

Quant à la fameuse question du profilage racial, qui a beaucoup entaché le travail du SPVM (tout comme plusieurs autres corps policiers), Fady Dagher admet en avoir lui-même fait sans s’en rendre compte et l’avoir subi, ce qui lui a ouvert les yeux sur cette réalité. Sa position, à cet égard, s’aligne avec celle de l’administration Plante, mais le place carrément en porte-à-faux avec celle du gouvernement Legault: «Le profilage racial, il y en a, profilage social et profilage politique aussi. Le racisme systémique existe», déclame-t-il sans hésiter. 

«Une nomination historique»

Bien qu’il reste à connaître les réactions internes à sa nomination, celle-ci est source d’espoir et d’enthousiasme à l’externe: «Je qualifie cette nomination comme étant vraiment historique», s’est emballé le directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), Fo Niemi, qui a souvent été très critique du SPVM dans le passé.

M. Niemi, qui a connu Fady Dagher lorsque celui-ci était responsable du dossier de profilage racial au SPVM, salue chez le nouveau patron «sa vision de livrer des services de police différemment, une police plus orientée sur les personnes, vers les communautés». Il souligne le fait que M. Dagher est quelqu’un qui écoute, apprend et agit et qui se montre très sensible aux citoyens plus vulnérables. «C’est quelqu’un qui est très humaniste.»

«C’est une licorne»

Alain Babineau, responsable des questions de profilage racial et de sécurité publique pour la Coalition rouge, lui-même un ancien policier de la GRC, estime que «c’est un gestionnaire policier du 21e siècle. C’est nouveau au Québec, mais il y en a d’autres au pays.»

«M. Dagher, c’est une licorne, c’est la bonne personne, pour la bonne job au bon moment. C’est une mission impossible, mais les films Mission Impossible, à la fin ils réussissent quand même à accomplir la mission», image-t-il en référence au travail qui reste à faire pour rebâtir l’image du SPVM et la confiance du public à son endroit.

«Le changement de culture, partout, c’est un gros défi. Dans le milieu policier, c’est une mission impossible», insiste-t-il, disant s’attendre à ce que le nouveau chef de police rencontre des obstacles de taille: «Les directeurs de police progressistes rencontrent toujours énormément de résistance lorsque vient le temps d’un changement de culture et encore plus lorsqu’on parle de diversité, d’inclusion et de profilage racial.»

«Mais bien appuyé, la mission impossible devient possible», conclut-il.