Entrevue avec Soraya Martinez Ferrada: «On va aller se battre pour garder nos acquis»

OTTAWA — Les sondages ont beau donner une impressionnante longueur d’avance aux conservateurs de Pierre Poilievre, les jeux sont loin d’être faits, assure la nouvelle coprésidente de la campagne nationale des libéraux de Justin Trudeau, Soraya Martinez Ferrada.

«Moi, dans Hochelaga, le jour du vote (en 2019), dans les sondages, j’étais 15 points derrière. Puis, j’ai gagné ma première campagne avec 328 votes», raconte-t-elle, assise dans une salle de réunion de son bureau de la colline parlementaire, à Ottawa.

Celle qui a été nommée à ce poste dessine déjà l’enjeu de la prochaine lutte électorale. «On va aller se battre pour garder nos acquis», résume-t-elle.

Mais le combat s’annonce ardu pour les libéraux. Ce sera «un défi important», confie-t-elle.

Justement, les sondages sont désastreux pour sa formation politique. Tous ceux publiés depuis l’automne donnent au moins 10 points d’avance aux conservateurs.

Celui de la firme Léger à la fin novembre révélait qu’environ deux Canadiens sur trois ont une mauvaise impression de Justin Trudeau et que plus de la moitié d’entre eux souhaitent qu’il démissionne avant les prochaines élections.

Confrontée à ce genre de manchettes, Mme Martinez Ferrada nous interrompt. «Il faut comprendre l’état collectif», insiste-t-elle.

«L’inflation, le coût de la vie, les situations géopolitiques, les guerres: il y a un esprit, il y a une émotion actuellement qui est celle de l’anxiété, de la frustration», décrit-elle pour expliquer les résultats des enquêtes d’opinion. Et ce n’est «pas juste ici» au Canada.

Mais ultimement, les Canadiens sont, selon elle, en accord avec de grandes mesures du gouvernement: lutter contre les changements climatiques, créer un service de garde dans l’ensemble du pays, mettre sur pieds un programme dentaire.

«On doit mieux communiquer»

Les libéraux ont-ils des choses à changer? «On doit mieux communiquer, admet Soraya Martinez Ferrada. Mieux expliquer les politiques publiques.»

Le sujet de la tarification du carbone, par exemple, dont les conservateurs font leur cheval de bataille, la qualifiant de «taxe carbone», devrait être ramené à l’idée que polluer n’est plus gratuit, croit-elle.

«Même les gens de l’Alberta» croient qu’il faut s’attaquer à la crise climatique, dit-elle, sourire en coin.

Et dans ce défi de communication, il y a celui de bien expliquer les «contrastes clairs» avec les «positions très ancrées sur l’espèce de politique de droite» des conservateurs.

«Moi, ça me fait peur», lâche-t-elle.

Et les Canadiens devront faire «un choix» lorsqu’ils seront appelés aux urnes. Elle évoque du même souffle l’enjeu du droit à l’avortement.

Monter l’équipe, être organisés

D’ici là, Soraya Martinez Ferrada a du pain sur la planche pour s’assurer que les troupes libérales soient prêtes le jour où une campagne sera déclenchée, ce qui peut arriver à tout moment dans un gouvernement minoritaire malgré l’entente avec les néo-démocrates.

Elle décrit sa première tâche comme étant de composer l’équipe de candidats qui va aller au front. Il en faut dans chaque circonscription électorale.

Et comment ça avance? «Ça fait un mois. Puis, c’est Noël, soupire-t-elle. On s’entend-tu qu’il y a un moment où les choses vont avancer. Ça avance bien.»

Questionnée à savoir si ça se bouscule aux portes pour être candidat libéral, elle évoque «l’écart» entre «la bulle d’Ottawa, dont les médias vous faites partie», et «la réalité sur le terrain».

Les libéraux croient-ils avoir le vent dans les voiles? «Je n’ai pas dit ça, répond-elle. Je sens qu’il y a réellement sur le terrain une volonté des gens de dire: “c’est pas vrai qu’on va perdre ce qu’on a acquis, et donc: qu’est-ce que je peux faire pour aider”.»

De manière générale, Mme Martinez Ferrada veut offrir aux futurs candidats l’opportunité de faire campagne le plus longtemps possible avant le déclenchement des élections.

«Quand j’ai gagné mon comté – qui n’avait pas été libéral depuis 35 ans –, j’ai fait une campagne pendant un an, se rappelle-t-elle. Un an, j’ai fait campagne avant la vraie campagne!»

Le trésor de guerre

Au défi d’organisation, s’ajoute celui du financement. Et il est d’autant plus important que les partis fédéraux ne reçoivent pas de fonds publics, comme c’est par exemple le cas des partis provinciaux au Québec.

Les données d’Élections Canada pour le troisième trimestre révélaient d’ailleurs que les conservateurs avaient amassé un peu plus de 7 millions $ en dons, contre un peu plus de 3 millions $ pour les libéraux.

Mme Martinez Ferrada affirme ne pas s’inquiéter de tirer de l’arrière à ce chapitre. Les coffres du Parti libéral du Canada n’ont jamais débordé bien avant les campagnes et le financement a toujours connu une progression à mesure que la campagne électorale approchait, indique-t-elle.

À cela, elle assure que le financement est «très local terrain» et qu’il «porte fruit».

Les libéraux jurent ne pas avoir dit leur dernier mot. Au contraire, le défi est emballant. «J’ai hâte de me battre», insiste-t-elle.