Élimination de la TPS sur les logements locatifs: Ottawa dépose son projet de loi

OTTAWA — La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a déposé jeudi en Chambre le projet de loi C-56qui vise à concrétiser la suppression de la TPS sur la construction de nouveaux logements destinés à la location.

La mesure,qui prendra la forme d’un remboursement de la TPS perçue sur les coûts en matériel et en main-d’oeuvre,s’appliquera aux futurs immeubles locatifs, et ce, peu importe leur valeur marchande et le montant des loyers.

La ministre Freeland justifie ce choix de ne pas s’en tenir aux appartements offerts à prix abordable en soutenant que le «principal problème» de la crise du logement en est un manque d’unités disponibles.

«C’est une question mathématique», a-t-elle dit. Elle a plaidé que d’autres mesures plus ciblées ont été prises par le gouvernement de Justin Trudeau depuis qu’il a pris le pouvoir en 2015.

«On va continuer de faire ça en même temps d’avoir des mesures générales qui vont utiliser tous les pouvoirs et tout le capital du secteur privé pour construire plus de logements», a poursuivi la vice-première ministre.

Or, la décision du gouvernement suscite l’indignation du Nouveau Parti démocratique (NPD), qui a une entente avec les libéraux pour les maintenir au pouvoir jusqu’en 2025.

«C’est juste ridicule, insultant même. Sur quelle planète vivent les libéraux? Le logement est un droit fondamental. C’est la vie des gens qui est en jeu», a lancé le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice, durant la période des questions.

Quoi qu’il en soit, Mme Freeland et le ministre du Logement, Sean Fraser, ont assuré que le remboursement de la TPS prévu au projet de loi C-56 n’entraînera pas la construction de plus de «condos de luxe».

Ottawa espère que la mesure va convaincre des constructeurs de modifier leurs projets de condominiums pour les transformer en création de nouveaux appartements.

«Ce n’est pas un principe fictif. (…) Il y a de réels projets (de la sorte) dont j’ai entendu parler», a affirmé le ministre Fraser.

Et, avec des coûts en matériaux et en main-d’oeuvre réduits par le remboursement de la TPS, les libéraux souhaitent engendrer une baisse des coûts des loyers.

Une mesure de plus de 4,5 milliards $

L’élimination de la TPS revisite une promesse électorale de 2015 que les libéraux avaient abandonnée. À ce moment-là, les troupes de Justin Trudeau prévoyaient que la mesure s’appliquerait seulement au logement abordable.

Le remboursement de la TPS tel qu’aujourd’hui mis de l’avant doit être rétroactif à la date de son annonce, soit le 14 septembre. Ottawa propose que la mesure s’échelonne sur environ sept ans.

Le ministère des Finances n’a toutefois estimé le coût de l’abolition de la TPS que sur cinq ans, ce dernier s’élevant à plus de 4,5 milliards $. Des hauts fonctionnaires ont soutenu durant une séance d’information technique que les prévisions budgétaires d’Ottawa ne vont typiquement pas au-delà de cette période.

Le gouvernement compte préciser par voie réglementaire quelles nouvelles constructions se qualifieront pour le remboursement. Déjà, Ottawa a signalé son intention d’appliquer la mesure aux logements comprenant «au moins quatre appartements privés ou au moins 10 chambres ou suites privées», a indiqué l’une des fonctionnaires. Elle a ajouté que 90 % des unités d’un immeuble devront être destinées à de la location à long terme pour que celui-ci soit jugé admissible.

En point de presse à New York, le premier ministre Trudeau a pressé les chefs des partis d’opposition de permettre l’adoption rapide du projet de loi C-56.

«Nous nous focalisons à rendre la vie plus abordable et nous allons continuer ce travail dans les jours et semaines à venir», a-t-il déclaré.

Il reste toutefois à voir quel parti appuiera les libéraux, compte tenu des critiques déjà formulées par leur partenaire de danse habituel, le NPD. 

Les bloquistes, de leur côté, ont dit douter que l’élimination de la TPS engendrera réellement une baisse des prix loyers. «L’exemption (…) pourra stimuler le marché, c’est toutefois nettement insuffisant dans l’ensemble et rien n’indique que les locataires pourront bénéficier de cette mesure au bout du compte», a commenté leur porte-parole en matière de finances, Gabriel Ste-Marie.

Quant aux conservateurs, ils mettent de l’avant leur propre projet de loi en matière de logement. L’équipe de Pierre Poilievre y propose aussi l’abolition de la TPS sur la construction de nouveaux logements locatifs. Or, dans leur cas, ils entendent limiter la mesure à ceux «dont le prix de location est inférieur à la valeur du marché».

Plus de pouvoirs au Bureau de la concurrence 

D’autres mesures incluses dans le projet de loi C-56 sont toutefois bien accueillies par les bloquistes et pourraient vraisemblablement plaire aux néo-démocrates. Il s’agit de modifications législatives visant à donner plus de pouvoirs au Bureau de la concurrence du Canada.

«Ce sont les consommateurs qui doivent être au centre des préoccupations et non les intérêts commerciaux», a lancé le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne.

Un changement proposé à la Loi sur la concurrence vise notamment à permettre au Bureaud’exiger, à coup d’ordonnances judiciaires, la production de renseignements.

Une autre modification proposée a pour but d’éliminer un mécanisme qui permet aux entreprises de défendre des fusions anticoncurrentielles lorsqu’elles peuvent démontrer des gains en efficience.

Ces éléments semblent rejoindre plusieurs portions d’un projet de loi déposé par le chef du NPD, Jagmeet Singh, plus tôt cette semaine.

Le Conseil canadien des affaires a pour sa part taillé en pièces les changements proposés par le gouvernement Trudeau, jugeant qu’ils allaient «jeter un froid sur l’investissement (…) tant étranger que domestique» et «influer négativement la compétition».

Selon l’organisation, les intervenants du milieu n’ont pas été adéquatement consultés en vue de ce «projet de loi omnibus».