Électricité propre: Ottawa n’entend pas prescrire des technologies en particulier

OTTAWA — Le projet de règlement dévoilé jeudi par Ottawa en vue de rendre le réseau d’électricité carboneutre d’ici 2035ne prescrit pas le recours à des technologies en particulier.

Le gouvernement fédéral entend plutôt mettre en place une norme de rendement quant aux émissions de gaz à effet de serre associées à la production d’électricité.

Ainsi, la production d’électricité avec du gaz naturel ou de l’énergie nucléaire ne sera pas interdite à condition de respecter la norme.

«Les États-Unis sont beaucoup plus prescriptifs en termes de types de technologies à utiliser. Nous, au fédéral, on ne dicte pas aux provinces et aux territoires quels types de technologies non émettrices ils doivent utiliser», a dit le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, en point de presse à Toronto.

Il a soutenu que cette approche n’est pas nouvelle puisqu’elle a aussi été prise par le Canada dans la réglementation quant à la pollution de l’air ou de l’eau, par exemple, en fonction d’une «tradition de développement de la réglementation canadienne».

Questionné à savoir s’il avait des inquiétudes quant à la possibilité qu’Hydro-Québec décide de rouvrir la centrale nucléaire Gentilly-2, au Centre-du-Québec, M. Guilbeault a répété que son projet de règlement était neutre sur le plan des technologies permises et n’empêchera donc pas le recours à ce type d’énergie.

Le ministre a tout de même vanté les bienfaits des énergies solaire et éolienne.

«On voit par exemple qu’au Canada, présentement, les formes de production d’électricité les moins coûteuses sont le solaire et l’éolien (…) Mais, encore une fois, ce n’est pas au gouvernement fédéral de dire aux provinces ou aux compagnies d’électricité publiques ou privées quel type d’énergie elles doivent utiliser pour se conformer à cette réglementation-là», a-t-il insisté.

Avec son projet de règlement, le gouvernement s’attend à ce que 342 mégatonnes d’émissions cumulatives de gaz à effet de serre soient éliminées entre 2024 et 2050.

Des consultations sur la feuille de route proposée doivent avoir lieu et un règlement final devrait ensuite être présenté d’ici à l’année prochaine.La réglementation doit entrer en vigueur en 2025, mais l’obligation de conformité de la norme d’émissions ne sera effective qu’au plus tôt en 2035.

Ottawa prévoit des exemptions, comme pour les unités de communautés des territoires canadiens qui ne sont pas reliées à un réseau soumis à la North American Electric Reliability Corporation (NERC).

M. Guilbeault n’a pas directement répondu à la question d’une journaliste qui lui demandait de préciser selon quelle échéance Ottawa voulait que de l’électricité propre soit accessible dans ces localités.

Le Canada s’est engagé en 2021 à rendre son réseau d’électricité carboneutre d’ici à 2035.

Il s’agit d’un élément essentiel pour atteindre les objectifs climatiques globaux du gouvernement fédéral. Ottawa s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici à 2050. Le gouvernement de Justin Trudeau promet aussi de réduire les émissions de gaz à effet de serre du Canada de 40 % à 45 % d’ici à 2030.

Le réseau électrique du pays est déjà propre à près de 85 %, mais la demande devrait doubler d’ici 2050, à mesure que les voitures, les autobus et les trains deviendront électriques. 

Dans le dernier budget fédéral, les libéraux ont mis de côté plus de 45 milliards $ pour construire un réseau propre.

Réactions

Les gouvernements de la Saskatchewan et de l’Alberta n’ont pas tardé à manifester leur opposition au projet de règlement. Ils préféreraient que la cible d’un réseau électrique carboneutre en 2035 soit repoussée à 2050.

La première ministre albertaine a qualifié l’ébauche de réglementation d’«inconstitutionnelle et d’irresponsable» et a soutenu que les dispositions «ne seront pas implantées dans (sa) province – point».

«Si appliquée en Alberta, cette réglementation menacerait la fiabilité du réseau électrique de l’Alberta et causerait des augmentations massives sur les factures énergétiques des Albertains», a réagi Danielle Smith sur les réseaux sociaux.

Son homologue de la Saskatchewan, Scott Moe, a eu les mêmes critiques.

À Ottawa, le Parti conservateur a aussi rejeté l’initiative du gouvernement Trudeau puisqu’il estime qu’elle fera augmenter les coûts en électricité pour les Canadiens qui composent déjà avec une hausse du coût de la vie.

«Ce gouvernement a déjà augmenté la taxe carbone et versé des milliards de dollars de carburant sur le feu de l’inflation ; maintenant, il va augmenter le coût de l’électricité qui est une nécessité pour les familles et les entreprises à travers le Canada pour, littéralement, garder les lumières allumées», a commenté dans un communiqué le porte-parole conservateur en matière d’Environnement, Gérard Deltell.

Dans une séance d’information technique, des responsables gouvernementaux ont indiqué que la réglementation proposée entraînera une légère hausse des coûts en énergie. Ils ont toutefois ajouté qu’on s’attend à ce que cette hausse soit contrebalancée par les économies qui viendront en se tournant vers de l’électricité propre et en délaissant «des combustibles fossiles de plus en plus coûteux».

Le ministre Guilbeault a mentionné que l’ICC estime que les dépenses énergétiques des ménages diminueront, en moyenne, de 12% d’ici 2050.

La Fondation David Suzuki a accueilli l’annonce de jeudi comme un«pas de plus vers l’atteinte d’une électricité à 100 % sans émission», mais a signalé qu’elle restait sur sa faim.

«Tel qu’elle est rédigée, cette réglementation permettra aux énergies fossiles de continuer à se développer et à fournir de l’électricité au réseau. Si nous voulons atteindre l’objectif de 2035, il ne peut n’y avoir aucune échappatoire ni exemption pour ce secteur», a déclaré par voie de communiqué le responsable en matière d’énergie pour l’organisation, Stephen Thomas.

L’Institut climatique du Canada (ICC) a pour sa part applaudi le projet de règlement, son directeur principal de la recherche, Jason Dion, soutenant qu’il s’agissait de «la pierre angulaire d’un avenir économique prospère pour tous les Canadiens».

Électricité Canada a salué la publication du projet de règlement, disant que les fournisseurs d’électricité du Canada voulaient, tout comme les Canadiens, une électricité «propre, abordable et fiable».

Le porte-parole national du secteur canadien de l’électricité a affirmé dans un communiqué que les fournisseurs et le gouvernement pourraient désormais «poursuivre la discussion sur la manière dont nous pouvons construire le réseau électrique afin de répondre aux besoins des Canadiens en 2035 et au-delà».

Électricité Canada a ajouté que sa plus grande préoccupation portait sur la flexibilité, citant quelques éléments à prendre en compte comme le fonctionnement des dispositions relatives aux périodes de pointe de la demande.

– Avec des informations de Laura Osman